Sur le papier Thugger possède toutes les cartes en main pour devenir la prochaine rock star du game. Ne reste plus qu’au Dennis Rodman du rap de concrétiser là où nombreux ont chuté avant lui…
18 714. Les chiffre des ventes en première semaine de Barter 6 sont tombés et le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils ne sont pas fameux. Le premier vrai projet solo de Young Thug n’a même pas réussi à se hisser dans le top 20, se faisant même largement distancé au passage par le moins médiatiques mais besogneux Tyler The Creator.
Ses défenseurs rétorqueront il ne s’agit pas là d’un véritable album (bien que vendu comme tel sur iTunes, il s’agit officiellement d’une mixtape), sorti qui plus est sans grosse campagne de promotion préalable.
La notoriété ne suffit pas…
Reste que ces résultats reflètent clairement l’un des paradoxes les plus évidents du marché du disque en 2015 : il existe une différence entre le buzz et la demande, entre faire parler de soi sur les réseaux sociaux et convaincre un public de lâcher son billet de 10.
En effet rare sont les artistes à avoir bénéficié d’une telle attention au cours de ces derniers mois – en cause l’extravagance de ses tenues (piercing de taureau, jupes, vernis à ongles…), sa réputation de camée notoire ou encore son homosexualité réelle ou supposée.
Petite parenthèse, au-delà de la réalité de son orientation sexuelle, le simple fait de voir un rappeur mainstream jouer avec ces codes est tout bonnement ahurissant pour tout auditeur qui a connu les années 90 – un truc aussi incroyable que l’élection d’un président noir. On dirait bien que le Hip Hop a trouvé là son Omar Little.
Thugga est-il pour autant à ranger dans la même catégorie que les Riff Raff, Kevin Gates et autres Swagg Man ? Bien sûr non, car le mec a du talent, et pas qu’un peu.
N’en déplaise à ses nombreux détracteurs, chez Young Thug la forme prime sur le fond. Comme souvent dans le rap, ce qui importe n’est pas vraiment ce qu’on dit mais comment on le dit. Et sur ce point, force est de constater qu’il s’est imposé comme l’un des artistes les plus créatifs du moment.
Son timbre de voix unique lui sert à distordre ses lyrics, à changer le rythme des morceaux ou à jouer à loisir avec leurs structures. Son flow élastique s’accompagne d’un sens de la mélodie sans pareil, à tel point que plusieurs écoutes sont parfois nécessaires pour repérer le refrain d’une chanson.
Sa cadence n’est pas sans rappeler celle de son homologue géorgien, Future et bien sûr l’influence de celui qu’il n’hésite pas à appeler en interview son idole, Lil Wayne.
Birdman et ses enfants terribles
À ce titre la pochette de Barter 6 illustre à merveille la relation alambiquée qu’entretiennent les deux artistes, entre fascination malsaine et sincère admiration.
Ironie du sort on se souvient qu’au début des années 2 000 lorsque Juvenile, auteur du classique 400 Degreez et à l’époque rappeur star de l’écurie Cash Money avait claqué la porte avec pertes et fracas, le petit Dwayne avait bondi sur l’occasion pour intitulé son projet 500 Degreez.
Tandis que Weezy multiplie les piques à l’encontre de son ancien label et de celui qu’il a appelé à 48 reprises son « père » dans ses chansons, Birdman, le snobe admirablement depuis que tel un maitre Sith il lui a trouvé un remplaçant plus jeune et tout aussi prometteur.
Si officiellement il semblerait que Thugger soit signé chez 300/Atlantic, son mentor conserve la main mise sur ses choix de carrière et reproduit ses techniques éprouvées pour garder ses protégés les plus rentables dans son giron : la carte de la famille, l’illusion de la réussite matérielle, drogues généreusement placées à portée de main…
[Pour l’anecdote, on raconte que les problèmes entre Lil Wayne et Cash Money ont commencé à émerger le jour où ce dernier est sorti de désintox’ et s’est rendu compte un peu mieux de sa situation financière.]
Pour en revenir aux chiffres de ventes, si Young Thug n’a pas encore réussi à créer une demande suffisamment forte autour, quid de la qualité des 13 pistes proposées ?
Pour la jouer simple, Barter 6 ressemble à s’y méprendre à mixtape du Rich Gang mais sans Rich Homie Quan et avec moins de Birdman. Le tout sans tube évident de l’acabit de Danny Glover ou de Lifestyle – et ce même si les singles Check et Constantly Hating sont de très bonne facture.
Un comble pour un projet censé mettre en orbite la fusée Young Thug en proposant au grand public un disque cohérent et accessible.
Un bon album, mais…
En réalité le grand problème de ce B6 est de ne présenter aucune surprise en dépit de la singularité dévorante de son auteur. Au final ceux qui apprécient Young Thug continueront de l’apprécier pour les mêmes raisons qu’auparavant, alors que ses détracteurs continueront de voir en lui l’un des fossoyeurs du genre.
Espérons que son premier solo prévu courant aout et intitulé Hy!£UN35 (« Hi Tunes » à voix haute) permettra à Thugga d’aller tester ses limites et de prouver au monde qu’il faudra compter avec lui.