Il existe en effet une légère différence entre le prix à la sortie d’usine et le prix proposé à l’achat…
Les Air Jordan 1, ou la paire qui à elle seule a initié la culture sneakers.
Commercialisées pour la première fois en avril 1985, elles ont été créées spécifiquement par Nike pour accompagner la mise en orbite du rookie le plus excitant de sa génération, un certain Michael Jordan.
Désignées par Peter C. Moore avec comme objectif de pouvoir être portées aussi bien sur les terrains qu’en-dehors, leur look tanche alors radicalement avec celui de tous les modèles aux pieds des stars de l’époque.
Carton immédiat au box-office (les 100 000 premiers exemplaires s’écoulent un temps record), leur succès doit tout autant à la maestria du numéro 23 des Chicago Bulls (28,2 points de moyenne, des dunks dans tous les sens, une sélection d’entrée au All-Star Game…) qu’à la science du marketing déployée en coulisse par la firme de l’Oregon – genre cette pseudo histoire d’interdiction inventée pour l’occasion.
Basket « hype » avant l’heure, 36 ans plus tard les AJ 1 n’ont rien perdu de leur superbe, un regain de popularité ayant même été observé depuis quelques saisons auprès du public adolescent.
Véritable poule aux œufs d’or, la paire mérite-t-elle toutefois les 140 euros qu’elle coûte dans ses coloris les plus accessibles ? Après tout, on parle ici d’une chaussure composée de matériaux lambda (pour ne pas dire de plastoque) et de surcroît pas des plus confortables pour le sport comparés aux standards actuels.
[Le resale ou les collaborations avec Travis Scott, Dior, Off-White & Co. c’est un autre délire.]
Avant de commencer, il est important de préciser qu’il n’est tout simplement pas possible de répondre avec exactitude à la question, Nike, comme toutes les autres grosses marques de vêtements/sportswear, se montrant particulièrement discret sur ce qui touche à ses circuits de production.
Au milieu de la tonne d’articles aux faux airs de contenus sponsorisés qui pullulent sur le net, quelques rares informations peuvent néanmoins être dénichées.
En 2013, la photo ci-dessous diffusée sur le forum de HK-Kicks, un site Hongkongais dédié à la sneaker, avait ainsi pas mal tourné, sans que l’on sache avec certitude ni son origine, ni la véracité des chiffres indiqués.
Bien que l’on ne soit donc pas obligé de croire tout ce qu’on lit, le texte nous renseignait qu’entre les matériaux (10,75$), la main d’œuvre (2,43$), les frais généraux (2,10$) et le profit que s’accorde l’usine (0,97$), une rétro Air Jordan coûterait 16,25$ à fabriquer.
Le vrai décompte
Plus sérieux dans ses affaires, en 2016 le site Solereview a enquêté sur le sujet avec son long format What does it cost to make a running shoe?, qui, s’il ne s’intéresse pas à la Air Jordan en particulier, vaut tout de même son pesant de cacahuètes.
Selon leurs conclusions, une paire Nike vendue 100$ coûterait en moyenne 22$ à sa sortie d’usine en Asie.
[Notez que Nike ne possède pas ses propres usines et soustraite la moindre étape de fabrication.]
Si le chiffre peut paraître riquiqui à première vue, il est à prendre avec précaution : le coût de production n’est pas égal au coût total.
Ou pour le dire autrement, Nike n’empoche pas 78 dollars nets par paire. Loin de là.
En effet, il lui faut ensuite rappatrier la paire, souscrire à une assurance transport (oui des cargaisons entières de Air Solo Flights, Strike Forces et Pegasus ont déjà été perdues en plein océan Pacifique) et s’affranchir des droits de douane, ce qui l’un dans l’autre représente environ 5$ supplémentaires.
S’ajoutent ensuite 11$ de frais internes (les salaires de manutentionnaires, des comptables, le stockage…), ainsi que 2 dollars prélevés par les impôts sur la paire en elle-même.
Vient ensuite un poste de dépense largement fantasmé, le marketing.
Paye-t-on sa paire beaucoup plus chère à cause des stars ?
Roi incontesté du sponsoring, Nike investit chaque année plusieurs milliards de dollars pour convaincre les célébrités de promouvoir le swoosh – selon Forbes, à l’heure actuelle 51 des 100 sportifs les mieux payés de la planète sont signés chez Nike.
Là encore, il serait donc tentant d’emprunter un raccourci et de penser que cela représente une part non négligeable du prix total. Sauf que selon Solereview, le budget sponsoring ne se répercute sur le prix total qu’à hauteur de 1,50$.
Et pour ce qui est du budget publicitaire total, il représente finalement 5$ (les 1,50$ du sponsoring inclus).
Non en réalité, ce qui explique pour moitié le prix d’une paire à 100$, c’est la marge de 50$ que s’octroient les détaillants (Courir, Foot Locker, Snipes, etc.).
Bon attention, même chose qu’auparavant, si le chiffre semble énorme, entre les frais internes, les promotions, les impôts, ces derniers n’empochent absolument pas 50 dollars nets de bénéfice, mais plutôt dans les 6$.
Toujours est-il que ces 50$ sont la raison pour laquelle la marque et les chaînes de sportswear entretiennent des rapports extrêmement tendus, Nike tentant par tous les moyens de se passer d’eux pour proposer directement ses produits aux consommateurs dans ses flagship stores et sur son site internet.
En travaillant avec un détaillant, Nike ne dégage en effet que 5$ de profit.
Et les Air Jordan 1 dans tout ça ?
Plus proche de nous, en 2016 Alternatives Économiques (le magazine préféré des profs syndiqués de terminale ES) a publié le diagramme ci-dessous.
Relatif au coût d’une rétro, il diffère sur plusieurs points des chiffres précédents :
- les coûts de fabrication sont estimés à 12,2% (contre 22%), dont un misérable 1,7% du prix destiné à la main d’œuvre, qu’importe si à l’époque Nike affirmait que « les préoccupations salariales des travailleurs figurent parmi ses objectifs prioritaires ».
- les bénéfices à 16% (contre 5%)
- la marge des détaillants à 41% (contre 50%)
À la lueur des chiffres exposés, du strict point de vue du consommateur, rien de ne justifie vraiment les 140 euros d’une Air Jordan 1, une chaussure de sport sans grande valeur intrinsèque.
Paradoxalement, il est pourtant très probable que si le modèle était vendu à un prix plus juste, plus proche de son coût de production (la comptabilité interne de la Jordan Brand ne regarde que la marque), les ventes piqueraient très vite du nez.
Un peu comme dans le luxe, il existe un lien entre la valeur perçue et le prix proposé. Ou pour le dire autrement : rendre la Air Jordan 1 plus accessible diminuerait fortement son attrait auprès d’un public qui achète telle marque ou tel modèle en fonction de l’image renvoyée aux autres et son degré d’exclusivité.
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