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« Detox » : l’histoire du plus grand album de rap jamais sorti

« Detox » : l’histoire du plus grand album de rap jamais sorti

Ou comment Dr. Dre a fait saliver les foules pendant près de quinze ans…

L’album Helter Skelter prévu avec son compère Ice Cube ; l’album Make Up To Break Up qui devait marquer ses retrouvailles avec Snoop Dogg ; l’album Oh My God qu’il devait composer pour le roi du flow Rakim ; l’album Not Those Niggaz Again qui devait signer le retour des N.W.A. ; l’album Chairmen of the Boards qui devait le voir se mesurer à Timbaland ; l’album de Hittman… depuis trois décennies c’est peu dire que Dr. Dre collectionne les annonces d’albums toutes plus excitantes les unes que les autres sans que jamais rien ne sorte à l’arrivée.

Parmi elles, Detox est celle qui haut la main a le plus déchaîné les passions.

Successeur des vénérés The Chronic et 2001 qui, chacun dans leur genre ont révolutionné le rap, ce troisième solo était attendu comme le messie tant le bon docteur Young était au début du siècle au sommet de son art.

Pas encore semi-retraité du game reconverti dans la vente de casques audio, outre son succès artistique et commercial sans pareil, il pouvait se targuer d’avoir donné naissance à deux des plus grosses stars de la musique mondiale : Eminem et 50 Cent.

Acclamé de toutes parts pour son génie, il ne lui restait plus donc qu’à boucler la boucle avec un ultime disque avant de rentrer définitivement dans la légende. Un ultime disque sur lequel au fil des années absolument tous les cadors du rap US ont un jour vu leur nom associé – de Busta Rhymes à Kendrick Lamar, en passant par Eve, Nas, Jay Z, T.I. ou encore Lil Wayne, Rick Ross, et même Drake.

Sauf que non. Parce que pas le temps, parce que pas l’envie, parce que trop de perfectionnisme, Detox n’a jamais vu le jour.

Retour étape par étape sur l’arlésienne la plus célèbre du rap US.

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2003-2005 : « Be quiet, look out for Detox »

Rappelez-vous c’était au mois de janvier 2005 : Dr. Dre exhortait d’une ligne les foules à faire preuve d’un peu patience sur le Higher de The Game.

Il faut dire qu’à l’époque cela faisait déjà presque trois ans jour pour jour qu’il avait déclaré commencer à travailler sur son prochain album.

Non seulement, il avait alors dévoilé le titre, mais il avait également révélé qu’il s’agirait d’une sorte d’album concept inspiré du film Training Day (dans lequel il jouait) où un tueur à gage occuperait le premier rôle et où tous les feats interpréteraient un personnage. Certaines rumeurs rapportaient d’ailleurs que Denzel Washington narrerait les interludes.

Prévu initialement pour l’été 2003, Detox va néanmoins être reporté une première fois pour cause de changement de direction artistique (assez rapidement l’idée d’en faire une « comédie musicale hip hop » est abandonnée), puis une seconde fois pour cause de changement de priorité (bon nombre des meilleures instrus sont réaffectées au Get Rich Or Die Tryin’ de Fiddy et au Cheers d’Obie Trice).

Rien de grave cependant puisque quand cette même année feu Steve jobs lui passe un coup de téléphone en direct d’une de ses conférences (?), Dre lui confirme tout sourire continuer de bosser sur Detox tandis que le « piano man » Scott Storch promet dans la foulée que « niveau son et paroles, il s’agira de l’album de rap les plus avancé jamais entendu ».

Motivé comme jamais, le Doc’ confirme peu de temps après la chose en affirmant que la tracklist contiendra pas moins de « 12 ou 13 singles ».

Et tant pis si chemin faisant, il s’en va prendre une pause pour aller produire pour les albums de Truth Hurts, Rakim et Shaunta (qui ça ?), en novembre 2004 Eminem rassure tout le monde dans Encore en clamant « And don’t worry ’bout that Detox album. It’s coming. We’re gonna make Dre do it ».

Pas de chance, entre la sortie de The Documentary de The Game et celle du second album de 50 The Massacre, Dre semble une nouvelle fois avoir perdu le focus.

Mais bon comme il le dit lui-même, « soyons sages et attendons ».

2006-2009 : Démocratie chinoise

Deux ans vont ensuite s’écouler sans que rien de ne se passe vraiment, à l’exception de la couverture du défunt magazine Scratch à l’automne 2006.

Interrogés sur l’avancement du projet, ses collaborateurs Bernard ‘Focus’ Edwards Jr. et Imsomie ‘Mahogany’ Leeper révèlent que les sessions studios sonnent « très rock psychédélique des années 60 » et que le maître des lieux serait apparemment revenu à l’idée d’un album concept, cette fois-ci inspiré du film de 1998 Very Bad Things (une histoire d’enterrement de vie garçon qui vire à la boucherie avec Cameron Diaz et Christian Slater).

En 2007, Dr. Dre refait surface en se prêtant au jeu de l’interview, tout d’abord avec le L.A. Times (« J’espérais vraiment sortir Detox cette année, mais je vais devoir repousser à cause d’autres projets »), puis au micro de la radio Power 106 où il confie que son nouveau protégé Bishop Lamont tiendra le rôle d’invité de luxe/ghostwritteur tenu précédemment par Snoop sur Chronic et Hittman sur 2001.

Et en parlant de Snoop, en juin 2008 le Grand Chien fait du bien lorsqu’il déclare l’album « terminé ».

« Moi-même je commençais à douter de son existence, mais quand j’ai demandé à Dre ce qu’il en était, il m’a fait écouter tellement de sons que ma tête a failli exploser. »

Encore mieux, le mois suivant, le Christ confirme en personne la bonne nouvelle (« Dans un monde parfait, je pense le sortir en novembre ou en décembre »), non sans ajouter que Nas, Jay-Z et Lil Wayne seront de la partie.

Sept ans après 2001, c’est toutefois un autre album attendu depuis des lustres qui arrive dans les bacs un peu à la surprise générale : Chinese Democracy des Guns N’ Roses d’Axl Rose.

Oui parce que pour « le Chinese Democracy du rap » il va falloir encore poireauter : nouveau BFF de Dre (et accessoirement patron du mastodonte Interscope), Jimmy Iovine annonce que le producteur a mis Detox en pause pour aller assister Eminem sur Relapse – il sera au final crédité sur 18 des 19 titres de l’opus.

Qu’à cela ne tienne, pour la première fois des morceaux supposément extraits du projet fuitent : I Am Hip-Hop (feat T.I.), Topless (feat T.I. et Nas), Shit Popped Off (feat T.I., le mec était à son apogée à cette période) et It Could Have Been You (feat Nas & R. Kelly).

Plus officiellement, à l’occasion d’une publicité pour Dr. Pepper, Dr. Dre en profite pour faire la promotion de Popped Off, un inédit aux faux airs de banger.

Autre bonne nouvelle, quand 50 Cent sort Before I Self Destruct fin 2009 il se vante d’avoir pu écouter 8 des 20 titres que comportera l’album et ajoute qu’après Relapse et avant Detox, son album est le second volet d’une trilogie savamment planifiée.

Bon on y croit moyen, mais on y croit quand même puisque désormais en promo permanente pour Beats by Dre l’ancien NWA concède qu’après avoir taffé « dix ans » sur le projet, il est temps pour lui de proposer une sortie en bonne et due forme.

(Et qu’importe si Bishop Lamont a entretemps quitté le bateau Aftermath)

2010-2014 : un duo de singles et puis plus rien

En juin 2010, Under Pressure featuring Jay Z leak sur la toile dans une version incomplète. Annoncé plusieurs semaines en amont par Dre et Iovine comme le premier extrait de Detox, il est aussitôt éjecté de la tracklist – aucune version officielle n’est à ce jour connue.

N’en déplaise aux rieurs qui pensent le docteur retourné illico pousser de la fonte et gober des protéines, au mois de novembre un tout nouveau single assorti d’un clip débarque en playlist : Kush avec Snoop et Akon.

Teasé quelque temps auparavant dans une publicité Beats tournée en compagnie de Lebron James, bien qu’efficace cette ode à la fumette co-produite par DJ Khalil ne convainc pourtant pas complétement – la faute au refrain d’Akon qui fait un peu tâche et à cette imitation un peu cheap de Nate Dogg par Timbaland par un certain Sly Pyper.

Qu’à cela ne tienne, afin de battre le fer tant qu’il est encore chaud une campagne d’affichage est lancée dans les rues de Los Angeles.

Et une fois les fêtes de fin d’année passées, un second single est présenté : I Need a Doctor featuring Eminem et la chanteuse Skylar Grey.

Si à cet instant Detox n’a jamais été aussi proche de se matérialiser, un léger doute traverse alors les esprits quant à la pertinence du produit.

Certes en décrochant une double certification platine I Need a Doctor est devenu l’un des plus gros hits de la carrière de Dre, mais pour les fans de ses travaux précédents impossible de ne pas se sentir mal à l’aise tant le morceau joue à fond la carte du racolage.

Toujours est-il que la promotion de Detox s’arrête ici sans aucune explication, si ce n’est que Snoop jette un pavé dans la mare en mai.

« Dr. Dre a une très bonne éthique de travail, mais je pense qu’il est très mal entouré. Quand il a fait ses disques qui étaient des hits dans le passé, il y avait D.O.C, Snoop Dogg, RBX, Kurupt… Ce sont des artistes indispensables qui ne sont pourtant plus là et qui devraient l’être. Tout ce que je dis, c’est que D.O.C et Snoop Dogg sont la colonne vertébrale. Quand ces deux-là ne sont pas dans l’équation, ça ne peut pas fonctionner. Tu dois les remettre dans le truc et les laisser diriger le projet comme nous l’avions fait sur Chronic et 2001. »

Ce silence radio n’empêche cependant en rien moult titres de fuiter (Chillin’ avec Swizz Beatz, Syllables avec Eminem, Jay Z, 50 et Stat Quo, Mr. Prescription avec Sly, Nikki Grier et Slim Da Mobster…), ni les rumeurs de continuer de circuler (une sortie inopinée le 4/20 est évoquée avant qu’Insterscope ne démente, le morceau Die Hard avec Eminem entendu dans l’émission de télé Fight Camp est annoncé comme un potentiel troisième single…).

Et puis en novembre, c’est le coup de massue : Dre fait se décrète en stand-by.

« Je vais m’octroyer une pause. Cela ne veut pas dire que j’arrête la musique, pour moi c’est comme respirer, mais je vais prendre un peu de recul. J’ai envie de profiter de ma famille jusqu’à ça me démange de revenir en studio. »

À partir de là, le pessimisme est de mise. Ou comme le résume DJ Quik la question n’est plus de savoir quand Detox va sortir, mais si Detox va sortir.

Du coup balec qu’en avril 2012 Kendrick Lamar invite Dre sur The Recipe ou que son compère ScHollboy Q rappe « Word to Dr. Dre, Detox is like a mix away » sur THere He Go.

(Pas cool donc, et ce d’autant plus que les amateurs de soul ont pour leur part droit après 14 ans d’absence au retour de D’Angelo avec Black Messiah…)

2015 : l’épilogue Compton

En avril l’un des tous derniers rappeurs du game à ne pas avoir fait savoir qu’il a collaboré à un moment ou à un autre sur Detox se manifeste : Big Pooh des Little Brother raconte qu’il a été engagé plus tôt comme plume au service du Doc.

Dans le même temps, ce dernier évoque son implication sur la bande originale du biopic à venir sur son feu groupe, NWA.

Au mois de juillet, le mystère s’épaissit quand Ice Cube déclare la sortie prochaine du troisième album de son compère, tout en précisant que cet album ne serait pas Detox

Et c’est ainsi que le 7 août 2015 Compton arrive dans les bacs. Inspiré par Straight Outta Compton, cet opus conçu en quelques semaines qui enrobe 30 ans de rap (Ice Cube, Snoop, Lamar, Cold 187um, DJ Premier…) d’un son puissant et saturé séduit globalement la critique sans nécessairement marquer plus que ça les esprits.

De son côté, Dre lève définitivement l’hypothèse Detox dans Rolling Stone en déclarant le projet « mort ». Motif : l’insatisfaction.

« J’avais entre 20 et 40 chansons, mais je sentais que quelque chose clochait. D’habitude, en cours d’enregistrement, j’arrive à deviner comment vont s’agencer les morceaux. Là, tout était flou. Mes tripes me disaient que ça n’allait pas. »

Voilà qui est clair pour tout le monde, même si à vrai dire comment en aurait-il pu être autrement ? Comment en effet décemment imaginer tous les noms cités précédemment partager l’affiche alors même qu’ils sont venus enregistrer à des périodes si différentes ?

Sans parler du fait que devant tant d’espérances, il était tout bonnement impensable pour Dre de prendre le risque de faire passer par-dessus bord une légende personnelle méticuleusement construite depuis le départ (d’où l’habile dégagement en touche Compton).

Ne reste donc pour ceux qui veulent toujours y croire quelques signes d’espoir de çà et là (Scott Storch qui feint de croire en 2018 que le projet va ressusciter, Flying Lotus qui récemment affirmait avoir pu l’écouter en entier lors d’une session studio…), et pour les plus pragmatiques la possibilité de se bâtir leur propre Detox en playlist en compilant tout ce que la toile compte de morceaux étiquetés à tort ou à raison du sceau de cet album mythique.

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