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Aliou Cissé : « La Coupe nationale des quartiers est un véritable vent de fraîcheur »

Aliou Cissé : « La Coupe nationale des quartiers est un véritable vent de fraîcheur »

Avant l’entraîneur Aliou Cissé, il y a eu le joueur. Ou plutôt le jeune homme. Avant un parcours pro bien garni, il y a eu une enfance du côté de Champigny-sur-Marne. Ce qu’on appelle un quartier, simplement un quartier, avec sa solidarité, ses clubs, mais pas encore de coupe attitrée.

Dans son coin du 94, Aliou nous le confie, il aurait bien aimé batailler sous le maillot du Sénégal dans cette compétition, cette fameuse Coupe nationale des quartiers remportée par le Congo (chez les femmes et les hommes). Avec une CAN 2022 dans son escarcelle, Aliou Cissé est venu parrainer l’évènement à sa manière : en mettant le plaisir au centre du jeu et en appelant la jeunesse à faire preuve de solidarité. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, d’unification des quartiers, de foot, mais surtout d’émotions partagées. Avec son humilité et son franc-parler, le sélectionneur du Sénégal a répondu à nos questions pour l’occasion. De quoi montrer que sa définition du ballon rond colle avec la coupe dont il est question…

Ton premier regard sur la Coupe nationale des quartiers ?

C’est quelque chose de nouveau. Quand j’étais jeune, ça n’existait pas. Chacun était dans son coin, dans son petit quartier, son immeuble. On trouvait des clubs, évidemment, mais pas tout le monde n’avait la chance d’y aller car c’était sélectif. Aujourd’hui, on peut voir n’importe quelle fille ou n’importe quel garçon représenter l’équipe de son quartier. Plus besoin de traverser tout Paris pour aller jouer ! Et ça, c’est très important, car ça montre la fraternité qui existe entre les personnes. La devise de la France c’est ça : « Liberté, Égalité, Fraternité« … ça colle ! Moi je suis issu d’un quartier de Champigny-sur-Marne (94) et j’ai joué à Joinville-le-Pont, Viry-Chatillon… Quand on me parle de la Coupe nationale des quartiers, ça m’interpelle (rires) ! Cela met aussi en avant les communautés africaines et maghrébines. Cela me touche et forcément, je voulais voir à quoi ça ressemblait ! J’étais en centre de formation, mais si on avait eu la chance d’avoir une compétition comme ça, je serais tout de suite venu !

Tu as été surpris par ce que tu as vu ?

Agréablement surpris ! C’est un vent nouveau, un vent de fraîcheur qui est arrivé dans nos banlieues, mais dans le football aussi. C’est à encourager, à motiver, car le football n’est pas seulement un business. C’est important que ce côté social et cette fraternité existent à travers le sport. Pour moi, la CAN représente l’acte 1 de cette fraternité. On ne parle pas de foot professionnel, mais bien d’une autre vision.

Est-ce que tu aurais aimé y participer ?

Moi je n’ai pas vécu ça, car j’ai eu la chance d’être repéré par de gros clubs assez tôt. Mais c’est là où la Coupe nationale des quartiers est importante : même si tu n’es pas pro, tu peux vivre les mêmes émotions grâce à ce tournoi. C’est ça qui est beau, car le football ce n’est pas seulement une finale de Ligue des Champions ou une finale de CAN. Le football, c’est la masse, c’est ce qui se passe dans les quartiers… On le voit avec plein de joueurs professionnels issus des quartiers. On ne doit pas seulement médiatiser le football de haut niveau, on doit mettre en avant cet autre foot. Il peut être même plus intéressant, cet autre foot, car il crée des liens entre les communautés. Ce « Liberté, Égalité, Fraternité« , on le voit vraiment à travers ces choses-là.

Là, on parle de football plaisir… Comment faire exister cette notion de plaisir au plus haut-niveau ?

Elle doit être là, je dis toujours aux garçons : « Jouez comme si vous étiez au quartier, comme dans vos cités« . Il ne faut pas se mettre trop de pression et mettre l’enjeu avant le jeu. L’enjeu, c’est une chose, mais je pense que si on ne pense pas au jeu, si on n’est pas heureux à travers le jeu, si on ne met pas les ingrédients nécessaires dans le jeu, l’enjeu va nous dépasser. Pour garder ce plaisir, il y a des préalables. Bien se préparer, prendre les matchs les uns après les autres, avec la même force. L’enjeu sera toujours là, mais en réalité, ce qui est important, c’est de penser au jeu. Le jeu, c’est de la rigueur, de la concentration, de l’abnégation… Mais aussi du plaisir et de l’amour ! Les équipes qui gagnent sont souvent formées autour de l’amitié, du respect et de l’amour. A un moment donné, c’est grâce à une amitié forte que tu peux voir éclore de la solidarité sur un terrain. Quand tout va bien, il n’y a pas de problème. Mais dans un moment de crise, de combat, c’est cette solidarité qui fait la différence. Là, on ne parle plus du footballeur, mais de l’homme. Un entraîneur me disait ça : « Occupe-toi de l’homme, le footballeur te le rendra« . Aujourd’hui plus que jamais, j’y crois. Je pense qu’il faut d’abord se soucier de l’homme derrière le footballeur, une chose qu’on oublie beaucoup dans le monde professionnel. Cet homme-là, malgré ses qualités footballistiques, a besoin d’amour, d’affection, qu’on le rassure.

Justement, vous perdez une finale de la CAN et vous vous relevez l’édition suivante pour la gagner. C’est grâce à cette solidarité ?

C’est normal de rencontrer des difficultés. Je crois que quoi qu’on puisse dire, il ne faut pas avoir peur de perdre. Si tu as peur de perdre, tu ne gagneras jamais. Je suis croyant et c’est important pour moi d’avoir une équipe qui a la foi. Une équipe qui croit en elle-même. En 2019, on a fait tout ce qui était en notre pouvoir, mais il faut aussi savoir respecter la force de l’adversaire. C’est ça être sportif. En 2019, l’Algérie gagne car c’est la meilleure équipe ! Ce n’est pas parce qu’on n’est pas bon. L’Algérie a extrêmement bien joué. En 2022 c’était nous, on a mis les ingrédients pour. Les échecs permettent de voir vos erreurs, de vous préparer encore mieux et d’expliquer aux joueurs ce qu’il faut mieux faire. Chaque compétition demande des exigences. Aujourd’hui, on est champion d’Afrique, ça veut dire qu’il faut qu’on se prépare davantage pour aller encore plus haut. Être champion d’Afrique ne te garantit pas d’être le meilleur, il faut encore travailler, car ce n’est pas une fin en soi. C’est une pierre à l’édifice. Je dis toujours qu’être sur le toit d’une montagne ne suffit pas… Je veux aller voir ce qu’il y a dans le ciel et les étoiles, dans le plaisir et avec humilité.

Quand as-tu eu l’envie d’entraîner ?

Cela m’est venue très tôt, après ma dernière expérience de joueur à Nîmes. Je pouvais encore avoir un contrat de deux ans quelque part, j’avais les moyens de jouer. Mais très tôt, j’ai eu cette envie d’entraîner. J’ai beaucoup été influencé par mes différents coachs et puis… partout où je suis passé j’ai été capitaine (rires) ! Je voulais embrasser ce métier très vite. J’ai donc passé mes diplômes et pris l’équipe Olympique sénégalaise en ayant l’ambition de prendre un jour l’équipe première, car j’ai été capitaine de cette équipe. J’ai donné à cette équipe en tant que joueur et j’avais envie d’apporter mon expertise en tant qu’entraîneur. Amener mon background européen, le partager avec les joueurs et le pays.

Quand tu vois tous ces jeunes à la Coupe nationale des quartiers, il y a lien direct avec ton parcours.

Pour moi, il faut aujourd’hui penser à la jeunesse. C’est eux le futur, c’est eux demain. Toutes les erreurs commises, les rendez-vous manqués, c’est ce qui nous forme en tant qu’homme. Mais ce serait égoïste de mourir avec tout ce que le pays nous a donné. C’est important de transmettre ça à la nouvelle génération. Si je viens à la Coupe nationale des quartiers, c’est que je sais que demain, ces gamins seront amenés à être quelque part et pas seulement comme footballeurs, mais comme chefs d’entreprise, etc. Tout cela se résume à l’homme et son histoire. Être un enfant, un ado, un jeune, c’est difficile. Parce que le monde des adultes est un monde agressif. On oublie parfois de revenir sur les difficultés des jeunes… Là, je parle sans doute de moi, de ma vie. Peut-être que j’aurais aimé avoir quelqu’un qui me dise que « tu as pris le bon chemin« . Quelqu’un pour me conforter dans mes choix. La jeunesse est seule, souvent livrée à elle-même. Les plus forts y arrivent, mais d’autres non alors qu’ils ont autant de qualités. C’est parce qu’ils n’ont pas le même accompagnement. La Coupe nationale des quartiers, ça représente tout ça. La jeunesse d’aujourd’hui a cette chance d’avoir des opportunités comme celle-ci pour montrer de quoi elle est capable. C’est un exemple, notamment pour la parité avec les filles ! Comme je le disais plus tôt, c’est un vent nouveau pour s’ouvrir à plein de choses, pas seulement au sport. Je ne souhaite pas que la banlieue soit résumée à ça. Il faut qu’on montre qu’on a des gens qui évoluent à travers plein de milieux, avec du talent !

Crédits photos : Lucas Beasse

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