Dossiers

Les films de gangsters racontent-ils vraiment la vérité ?

Les films de gangsters racontent-ils vraiment la vérité ?

Jouons au jeu des sept différences…

Existe-t-il une phrase plus mensongère au monde que celle qui au début d’un générique promet un film « basé sur des faits réels » ?

Certes un scénario n’étant pas rédigé comme une page Wikipédia il est tout à fait normal que l’intrigue soit fluidifiée, mais à trop prendre de libertés avec la vérité, certains métrages ne méritent clairement pas l’appellation biopic.

D’autres pourraient au contraire presque s’en prévaloir, quand bien même ils sont officiellement rangés dans la catégorie fiction.

Qui a dit que dans la vie de tous les jours comme dans ces westerns modernes que sont les films de gangsters, Hollywood nous berne encore et toujours ?

À LIRE AUSSI 
8 films de gangsters encore et toujours sous-estimés

Les Affranchis

L’histoire : aussi loin qu’il s’en souvienne, Henry Hill a toujours voulu être un gangster. Et tant pis si pour sauver sa peau il finira par balancer tous ceux qui ont croisé son chemin…

Adapté du livre Wiseguy de Nicholas Pileggi sorti en 1986, le film de Scorsese romance bon nombre d’évènements, à commencer par le fait qu’affranchis ou pas affranchis, personne ne se fait livrer du homard en prison.

Pour ce qui est de la biographie de Hill, sa première arrestation (pour avoir utilisé une fausse carte de crédit, et non pas pour avoir revendu des cigarettes à la sauvette), ne lui a absolument pas valu d’être félicité par Paulie et son crew.

Il a ensuite passé trois ans dans l’armée (de ses 17 à ses 20 ans), et ce n’est qu’après qu’il s’est associé avec Tommy DeSimone (Joe Pesci) qui est âgé de 10 ans de moins que lui.

En revanche le fameux hold-up de la compagnie aérienne Lufthansa monté par Jimmy est tout ce qu’il y a de plus réel (5 millions de dollars en cash et 875 000 dollars en bijoux furent dérobés le 11 décembre 1978 à l’aéroport JFK de New York, soit à l’époque le plus gros casse jamais réalisé sur le sol américain), tout comme la vague d’exécutions qui s’en est suivie (11 assassinats répertoriés entre décembre 1978 et 13 juin 1979).

Sinon, et ça ne s’invente pas : l’agent du FBI qui à la fin convainc Henry et Karen de rejoindre le programme de protection de témoins est interprété par le véritable agent du FBI qui IRL a convaincu Henry et Karen de rejoindre le programme de protection de témoins !

Casino

L’histoire : le gérant de casino Sam ‘Ace’ Rothstein, sa femme Ginger et son ami d’enfance Nicky Santoro prennent Las Vegas d’assaut avant de tout foutre en l’air…

Officiellement pas un biopic, Casino s’inspire néanmoins des aventures de Frank ‘Lefty’ Rosenthal (considéré comme l’un des meilleurs parieurs sportifs du pays), Geri McKenna (une ancienne prostituée) et Anthony ‘The Ant’ Spilotro (un homme de main particulièrement sauvage œuvrant pour l’Outfit de Chicago).

Ainsi parmi les rebondissements les plus marquants, certains sont tout à fait authentiques que ce soit l’atterrissage d’un avion du FBI sur le parvis de la maison de Rothstein, le fait que ce dernier ait exigé que chaque muffin confectionné dans la cuisine de son hôtel comporte le même nombre de myrtilles ou encore la liaison entre Ginger et Nicky.

Rayon violence, la réputation de Spilotro n’a pas à rougir de celle de Santoro.

Sous le feu constant de la justice, sur les 17 enquêtes menées contre lui aucune n’a abouti à la moindre condamnation – quand bien même il a été établi après coup qu’il a vraiment placé la tête d’un rival dans un étau.

Cela ne l’a toutefois pas empêché (presque) comme dans le film de finir lui et son frère Michael battus à mort avant d’être enterrés dans un champ de maïs.

Bonnie And Clyde

L’histoire : les deux ans et demi de cavale sans issue du gang Barrow…

Couple mythique s’il en est, Bonnie Parker et Clyde Barrow étaient-il si proches que ça ?

Là où le film d’Arthur Penn sorti en 1967 fait le choix de dépeindre Clyde en amoureux aussi transi qu’impuissant, là où certains historiens arguent qu’il n’existe aucune preuve tangible qu’il ait entretenu une liaison romantique avec Bonnie, d’autres opinent carrément qu’il était homosexuel.

Toujours est-il que Bonnie s’était mariée avant de le connaître, qu’elle s’était tatoué le prénom de son mari sur la cuisse et qu’elle a porté son alliance jusqu’à la fin de ses jours.

Notez dans le même ordre d’idée que non contents d’être beaucoup moins sexy à la ville que Warren Beatty et Faye Dunaway, nos deux loulous boitaient allègrement – Clyde parce qu’il s’était fait mutiler le pied avec une hache afin d’éviter les travaux forcés en prison (ironie du sort, il a été libéré six jours plus tard après s’être fait amputer du gros orteil), Bonnie parce qu’elle s’était brulée la jambe lors d’un accident de voiture.

Donnie Brasco

L’histoire : agent sous couverture, Joseph D. Pistone s’infiltre six ans durant au cœur de la famille Bonanno…

Peut-être le film de mafieux le plus réaliste qui soit. D’une part parce qu’il flirte avec le documentaire sur les us et coutumes du milieu (quelles fringues porter, quel vocabulaire employer…), et de l’autre parce qu’il se déroule chez les sans-grades du crime organisé et non dans un monde fantasmé.

Du coup pas grand-chose à relever si ce n’est que Lefty (Al Pacino) n’était en réalité pas tant un ancien que ça (il n’a été fait « made » qu’un an avant d’avoir rencontré Donnie), qu’il ne se fait pas tuer en représailles comme il est supposé (son arrestation dans la foulée et sa condamnation à 20 ans de prison lui ont sauvé la vie) et que l’importance de Sonny (Michael Madsen) a été assez exagérée (il opérait à Brooklyn et non pas à Little Italy).

Ça et puis aussi cette fin mollassonne qui n’a eu lieu que dans la tête des scénaristes et que l’on peut d’autant plus regretter qu’il a été demandé à quatre reprises à Donnie-le-bijoutier de tuer de sang-froid, lui qui sur la fin de sa mission était dans les petits papiers des boss pour être promu affranchi.

Spoiler : apparemment dans de telles situations le gouvernement s’arrange pour envoyer les cibles en programme de protection puis fait croire à leurs décès.

Les Incorruptibles

L’histoire : dans le Chicago des années 30, Eliot Ness et son équipe s’en vont régler son compte au tout-puissant Al Capone qui règne en maître sur la ville…

Incarnation de la justice et de la droiture dans l’imaginaire collectif, au début des années 2000 Ness a manqué de voir son nom donné au quartier général de l’ATF (le service fédéral notamment en charge de lutter contre le trafic d’alcool).

La réaction de Daniel Okrent, auteur de Last Call: The Rise and Fall of Prohibition, l’un des ouvrages majeurs sur cette époque ? « Autant appeler l’immeuble Batman. »

Et celle de Jonathan Eig, un journaliste auteur de Get Capone: The Secret Plot That Captured America’s Most Wanted Gangster ? « Les immeubles ne devraient pas être nommés d’après des films. »

À leur décharge, il faut bien avouer que l’adaptation de Brian De Palma empile les contrevérités jusqu’au plafond pour les besoins de l’intrigue.

Eliot Ness n’était absolument pas père de famille au moment des faits, son équipe d’intouchables était beaucoup plus nombreuse (à l’exception du personnage de Sean Connery/Jimmy Malone qui lui bossait dans un autre service), tout le monde picolait allégrement (Ness a fini alcoolique), l’idée de piéger Capone pour fraude fiscale ne venaient pas d’eux, le cruel homme de main Franck Nitty n’a pas été balancé du haut d’un toit (il s’est suicidé dix ans plus tard) et lors du procès le jury n’a (évidemment) pas été changé au beau milieu des débats.

Public Ennemies

L’histoire : la course folle de John Dillinger, le braqueur de banques le plus populaire de la Grande Dépression…

Personnage flamboyant s’il en est, Dillinger s’est effectivement évadé de prison grâce à un faux pistolet fabriqué à partir d’un rasoir et d’une boîte de cirage avant de prendre la fuite au volant de la voiture du shérif.

Précurseur dans son domaine, en se jouant des différentes législations entre les états d’Amérique et en utilisant toute la puissance des nouveaux modèles de voitures capables de semer la police, il a directement contribué à la naissance du FBIi.e. un organe en mesure de centraliser les informations et d’intervenir sur l’ensemble du territoire.

Le film de Michael Mann se laisse cependant aller à injecter un peu de fiction dans le but d’embellir son portrait, qu’il s’agisse d’omissions (nulle mention des opérations de chirurgie esthétique subies par Dillinger ni du fait qu’il ait pris une maitresse lorsque sa douce Billie Frechette/Marion Cotillard était incarcérée…) ou de rajouts (s’il a bien aidé ses complices à s’échapper de prison en faisant rentrer des armes il n’était pas physiquement présent lors de leur évasion, pas plus qu’il n’était au cinéma au moment même où un avis de recherche à son nom était diffusé….).

Soumis au même traitement, son rival du bon côté de la loi Melvin Purvis a vu lui aussi son CV s’épaissir en se voyant attribuer les morts des légendes Baby Face Nelson et Pretty Boy Floyd (tous deux sont décédés plusieurs mois après Dillinger).

Bugsy

L’histoire : Benjamin Siegel débarque dans les années 40 à Las Vegas afin d’ériger au beau milieu du désert un casino de luxe…

Hollywoodien du sol au plafond, l’opus dépeint Siegel comme un visionnaire empreint de passion et de romantisme.

Toujours tiré à quatre épingles, ami des stars de cinéma de son temps (Cary Grant, George Raft, Jean Harlow…), celui que l’on surnommait dans son dos « Bugsy/Punaise » pour ses crises de colère intempestives n’en restait pas moins une crapule de premier ordre.

Passe encore que ne soit pas mentionné l’accusation de viol dont il a fait l’objet, mais c’est pousser le bouchon franchement loin que de le présenter comme l’inventeur de ce qui deviendra le Strip, le célèbre boulevard où sont concentrés les établissements de jeux les plus prestigieux au monde (le MGM, le Caesars Palace, le Bellagio…) : Siegel s’est contenté de reprendre avec l’argent des autres un chantier en cours sur un terrain qu’il n’avait pas acheté.

Et pour ce qui est de sa mort, il n’était pas en train de regarder en boucle seul chez lui l’un de ses castings : lors d’une réunion avec un associé il s’est pris deux balles dans la tête, dont l’une lui a éjecté l’œil de l’orbite.

The Departed

L’histoire : Leonardo Di Caprio et Matt Damon travaillent tous deux dans la police. Le premier comme informateur au sein du gang de Frank Costello, le second pour le compte de Frank Costello…

Histoire d’ancrer le film un peu plus dans la ville de Boston, choix a été fait de baser le personnage de Costello (Jack Nicholson) sur le célèbre Whitey Bulger qui pour rappel était jusqu’à sa capture en 2011 l’homme le plus recherché par le FBI juste derrière Oussama Ben Laden.

Avant ça, il a entretenu une relation toute particulière avec les autorités que ce soit via son ami d’enfance John Connolly ou le frère de son bras droit Stephen Flemmi, tous deux engagés dans les forces de l’ordre dans les années 70.

Alerté des enquêtes et des mouvements des gangs rivaux à son encontre, il a ainsi échappé pendant près de deux décennies à la justice quand bien même comme dans le film il n’hésitait pas à se salir les mains.

Il faudra attendre 1994 et une opération menée en sous-marin par la DEA sans avertir le FBI pour que tombe son gang. Condamné à perpétuité après 16 ans de cavale, Bulger est décédé en cellule à l’âge de 89 ans, tabassé à mort par ses codétenus.

American Gangster

L’histoire : dans les années 60/70 Frank Lucas trouve une combine pour importer directement quantités d’héroïne du Vietnam au nez et à la barbe des autorités et de la mafia italienne…

Ou des risques de baser un scénario exclusivement sur un article de presse (The Return of Superfly, publié en 2000 dans le New York Magazine) et les rodomontades du principal intéressé.

Oui parce qu’en vrai si Denzel Washington joue au gangster corporate et maniéré, à en croire le juge fédéral Sterling Johnson Jr. en fonction lors du procès de Lucas, « American Gangster est à 99% faux » « Franck était illettré, vicieux et violent. Il était tout ce que Washington n’est pas. »

Quant à Nicki Barnes, son principal concurrent dans les rues d’Harlem, il le traitait carrément de « plouc ».

À cela vous pouvez également ajouter qu’il n’a jamais été le chauffeur du parrain Bumpy Johnson, qu’une fois la tournée promotionnelle terminée Lucas a admis que le coup des cercueils c’était du flanc, qu’il n’a jamais tué un homme en pleine rue, que sa Blue Magic était coupée à 90%, et que contrairement à ce que laisse entendre les dernières images du film il n’a joué aucun rôle dans la lutte anticorruption menée au sein de la police, lui qui n’a snicthé que ses anciens amis dealeurs.

En revanche pour ce qui est du « 1% de vrai », Lucas a effectivement été photographié dans un manteau en chinchilla hors de prix tandis que le flic Richie Roberts (Russell Crowe) a refusé un pot-de-vin d’un million de dollars.

Les Parrain I, II & III

L’histoire : grandeur et décadence de Michael Corleone…

Le réalisateur Francis Ford Coppola et l’écrivain Mario Puzo ont beau avoir glamourisé dans les grandes largeurs la pègre, ils n’en sont pas moins allés chercher matière à raconter chez bon nombre de gangsters ayant réellement existé.

Don Corleone (qui selon l’étiquette aurait dû se faire appeler Don Vito, le titre de Don étant traditionnellement accolé au prénom du porteur et non pas à son nom de famille) est ainsi inspiré à la fois de Joseph Bonanno qui souhaitait plus que tout au monde que son fils ne suivent pas son chemin (sans succès), de Joe Profaci qui se servait d’une société de distribution d’huile d’olive comme couverture à ses activités illégales et de Frank Costello qui outre le fait de préférer la discrétion dans la conduite de ses affaires, s’exprimait avec un timbre de voix très similaire à celui utilisé par Marlon Brando dans le film.

Le crooneur Johnny Fontaine ressemble lui beaucoup à Frank Sinatra dont les liens de proximité avec les plus grands truands de l’époque ne sont plus à prouver et qui au début de carrière aurait signé un contrat dans lequel il acceptait de reverser à vie un tiers de ses royautés à un promoteur avant qu’un certain Sam Giancana n’intervienne pour lui faire « une offre qu’il n’a pas pu refuser ».

Bugsy Siegel et Meyer Lansky sont également de la partie. Le premier sous les traits de Moe Greene (tué d’une balle dans l’œil), le second sous les traits d’Hyman Roth, le très rusé rival de Michael, qui comme dans le deuxième volet a tenté d’exercer son droit au retour en terre d’Israël pour échapper à la justice américaine.

L’intrigue du Parrain III joue quant à elle de l’analogie avec toute une série d’évènements très troubles s’étant déroulés entre la mort du Pape Jean-Paul 1er en 1978 et la faillite en 1982 de la Banque Ambrosiano, alias « la banque du Vatican » – comme Jean-Paul 1er, le personnage d’Albino Luciani n’a régné que très peu de temps avant de décéder dans son lit, l’un des exécutifs d’Ambrosiano a été retrouvé pendu sous le Blackfriars Bridge de Londres…

The Irishman

L’histoire : le triumvirat Rober De Niro, Al Pacino et Joe Pesci se réunit pour une ultime ballade…

Plus encore que mettre en scène des histoires de gangsters, ce qui a attiré Martin Scorsese dans le livre confession de Frank ‘The Irishman’ Sheeran c’est la possibilité de proposer un récit ancré dans une époque aujourd’hui révolue ainsi de traiter de la seule question qui vaille : celle de la finitude.

Mis à part cela, la quasi-intégralité des évènements tirés de I Heard You Paint Houses n’ont que peu à voir avec la réalité… à commencer par le titre qui ferait référence une expression soi-disant utilisée par les tueurs à gages (le sang giclant sur les murs faisant office de peinture), mais qui a été inventée pour l’occasion.

Et pour ce qui est des meurtres, la seule personne qui ait jamais accusé Sheeran d’avoir tué qui que ce soit, c’est Sheeran lui-même – ce qui explique que la petite trentaine d’homicides dont il se vante ne lui a jamais valu d’être inquiété par la justice ou exécuté par ses rivaux.

Pas de quoi éclaircir le mystère Jimmy Hoffa donc.

[Bonus] Les Soprano

L’histoire : les tribulations d’Anthony John Soprano, père, époux et capo dei capi de la famille DiMeo…

Certes il paraît extrêmement peu probable qu’un chef mafieux puisse consulter une psychiatre sans qu’elle et lui ne finissent dans une benne avant la fin de la semaine, certes la police scientifique est un peu trop vitre oubliée en cas d’homicide, et certes dans l’histoire du crime organisé on a déjà vu un Don porter un short, mais mis à part ça, gloire doit être rendue à la série pour son authenticité.

Le secret des scénaristes ? Avoir privilégié les sources policières aux témoignages toujours sujets à caution des repentis.

D’ailleurs outre le fait qu’Henry Hill ait un jour déclaré que « Les Soprano est ce qui se rapproche le plus de la réalité », peu après la première saison, le FBI a enregistré des conversations téléphoniques entre mafiosi du New Jersey dans desquelles ils s’étonnaient de son degré d’exactitude au point de se demander si une taupe ne divulguait pas des informations en direct à HBO.

Ou quand réalité et fiction font jeu égal.

À LIRE AUSSI 
8 films de gangsters encore et toujours sous-estimés

Dossiers

VOIR TOUT

À lire aussi

VOIR TOUT