Rap US

Ce jour où… Fat Joe s’est mis à jeter son oseille en l’air

Ce jour où… Fat Joe s’est mis à jeter son oseille en l’air

Avec la série « Ce jour où… » Booska-P revient sur ces anecdotes qui ont marqué l’histoire du rap. Aujourd’hui place à ce jour où le Don Cartagena a changé la face de la pop culture…

Octobre 2006. Pour le premier extrait de son septième album solo à venir intitulé Me, Myself & I, Fat Joe décide de sortir l’artillerie lourde avec le single Make It Rain.

Dans une Amérique pas encore frappée par la crise économique, il s’adjoint les services de Scott Storch à la production (déjà responsable du carton plein Lean Back un an plus tôt) et Lil Wayne au refrain pour délivrer un hymne à la flambe aussi absurde que jouissif – lire : encore plus absurde et jouissif que peuvent l’être les hymnes à la flambe dans le rap.

Expression à double sens, « to make it rain » renvoie alors dans son acceptation la plus large à ce moment de rush où les basketteurs NBA enquillent les paniers à longue distance jusqu’à donner l’illusion d’une averse de trois points, mais aussi de manière plus confidentielle au fait d’éjaculer sur une femme.

Dans les bouches du Gros Joe et du Ptit Dwayne « faire pleuvoir » signifie par allégorie balancer un maximum de billets de banque en l’air pour les voir ensuite retomber sur les « hoes ».

Si le morceau n’est pas des plus clairs quant à savoir si le terme désigne les strip-teaseuses ou les femmes en général, les linguistes peuvent tout de même supposer qu’il s’agit de la première option, cette pratique étant née selon la légende dans les strip-clubs d’Atlanta du temps de la splendeur de la Black Mafia Family.

[Et pour ce qui est de l’expression en elle-même, elle a vraisemblablement été inventée par Young Jeezy, lui qui pour la petite histoire y voit là une forme de redistribution des richesses, les trap stars se comportant ici « comme des Robin des Bois du ghetto ».]

Misogyne au possible dans les deux cas, Make It Rain s’accompagne d’un clip blockbuster à l’avenant.

À LIRE AUSSI 
Black Mafia Family : les dealeurs qui voulaient devenir rappeurs

« Got a handful of stacks, better grab an umbrella »

Outre la pelletée de caméos (Birdman, Rick Ross, Puff Daddy, Trina… sans oublier un jeune DJ Khaled tenant avec enthousiasme le parapluie de Fat Joe), on peut y voir se déhancher sans aucun complexe des filles à demi-nues dans un tourbillon d’oseille (dont la fameuse « meuf en bikini rouge », à jamais dans les cœurs), tandis que Weezy débarque sur le beat assis sur un chariot élévateur transportant un parterre de liasses n’ayant rien à envier au cash de Walter White.

Condensé de mauvais goût du rap mainstream, ce banger cartoonesque se révèle néanmoins terriblement efficace à l’oreille, jusqu’à devenir l’un des hits marquants de l’année.

Histoire d’en rajouter une louche, un remix quatre étoiles sort quelque temps après avec T.I., Birdman, Rick Ross et Ace Mac en renforts sur les couplets, mais aussi R. Kelly qui, emporté par sa fougue, accentue encore un peu plus le sous-entendu sexuel de l’expression, quitte à faire monter le malaise d’un cran.

[Pour rappel, quelques années auparavant l’ami Robert avait été identifié sur une sextape en train d’uriner dans la bouche d’une mineure…]

La nature imite l’art

Quand certaines chansons à succès inspirent des chorégraphies ou des modes vestimentaires, Make It Rain popularise le jeté de billets de 1$ dans les clubs.

Le phénomène ne va cependant pas sans poser problème. Quand dans un premier temps les danseuses ne sont pas toujours forcément ravies d’être traitées de la sorte, vient ensuite se poser la question des coupures qui jonchent le sol : peuvent-elles être ramassées au fur et à mesure, ou est-ce qu’au contraire les filles doivent impérativement attendre la fin de leurs prestations pour le faire ?

Si ce souci de protocole peut paraître anecdotique, il n’est pas moins à l’origine de l’un des drames les plus retentissants de l’histoire de la NFL.

Une nuit du weekend All-Star game NBA de février 2007, le footballeur pro Adam ‘Pacman’ Jones se pointe au club Minxx de Las Vegas avec 100 000 dollars en poche, dont 40 000 en coupure d’un dollar. Sur pace il retrouve Nelly et Jermaine Dupri avec qui il fait pleuvoir des cascades de cash.

[Il est généralement admis que les footballeurs pro sont les plus gros flambeurs du game. Casqués sur le terrain, ils jouent à fond la carte de l’ostentation en dehors pour se faire reconnaître.]

Au milieu de cette orgie (et c’est peu de le dire), les trois stars sont néanmoins passablement irritées par le staff et les danseuses qui interrompent le show à échéances régulières pour collecter l’argent dans des sauts.

Dupri prend alors le micro pour faire de son mécontentement (« Just keep fucking dancing! Don’t bend down and try to get your money »), tandis que Jones se montre clairement menaçant auprès du personnel.

Quelques instants plus tard, éclate dans des circonstances troubles une fusillade sur le parking de l’établissement, laissant trois blessés graves (dont l’ancien catcheur pro Tommy Urbanski paralysé à vie depuis).

Bien qu’innocenté par la justice pénale, Adam Jones sera suspendu pour la saison en cours par la NFL avant d’être condamné en 2012 par la justice civile à verser 12 millions de dollars de dommages et intérêts aux victimes.

La démocratisation en marche

Mauvaise publicité mise à part, l’argent continue de pleuvoir dans les strip-clubs, rappeurs et athlètes étant très vite copiés par les clients lambdas avides de briller le temps d’une soirée.

Devant cette affluence nouvelle, non seulement les clubs mettent désormais à disposition des liasses pré-emballées de billets de 1$, mais les managers eux-mêmes n’hésitent pas à investir leur propre argent en faisant voler leurs billets en début de soirée histoire d’instaurer une ambiance incitant leur clientèle à faire de même.

Alors qu’auparavant les VIP se reconnaissaient à leurs sapes ou au nombre de bouteilles de mousseux posées à leur table, la hiérarchie se jauge dorénavant en fonction de la taille du tas de billets à leurs pieds.

Font également leur apparition des gadgets aussi inutiles qu’indispensable comme le canon à cash, qui dixit la pub permet d’éviter de « se payer un esclave » pour faire feu à volonté.

[Avis aux amateurs, Supreme a sorti le sien l’année dernière.]

Mieux, comme tout ce qui a trait à l’esthétique de la culture strip-tease (chorégraphies, accoutrements, expressions…), le « makin’ it rain » a fini par envahir le mainsream, que ce soit via Rihanna avec son très explicite Pour it Up en 2013 ou Kim Kardashian et ses tout aussi explicites émojis.

Ironie de l’histoire, après avoir promotionné l’une des manières les plus stupides qui soit de dépenser son blé, Fat Joe (comme Lil Wayne, comme Jermaine Dupri, comme Nelly…) va connaître les affres de la banqueroute, et pas qu’un peu : en 2013 il effectue quatre mois de prison pour ne pas avoir payé ses impôts.

Gageons que du fond de sa cellule, il a dû repenser plus d’une fois à tout cet oseille balancé par la fenêtre.

À LIRE AUSSI 
Black Mafia Family : les dealeurs qui voulaient devenir rappeurs

Retrouvez tous les articles de la série « Ce jour où… » en cliquant ici.

Top articles

Dossiers

VOIR TOUT

À lire aussi

VOIR TOUT