Sang, sueur et larmes sont au menu…
ADN de la culture rap depuis le départ, les clashs ont fini par former sur disque une sorte de discipline à part entière.
Une discipline qui certes constitue désormais tout autant un moyen d’en découdre avec la concurrence que d’attirer l’attention sur soi, mais une discipline qui a tout de même donné lieu à certains des moments les plus divertissants du mouvement – et tant pis si sous couvert de « saine compétition » l’exercice se confond bien souvent avec un déferlement d’insultes à un degré 1.
En attendant de savoir si la Story d’Adidon sera certifié un jour ou non-classique du genre (spoiler : c’est bien parti), retrouvez dix morceaux qui ont de quoi faire rougir ces rappeurs qui usent et abusent des piques sur les réseaux pour régler leurs comptes.
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10. Real Muthaphuckkin G’s (1993)
Les forces en présence : Eazy-E contre Dr. Dre & Snoop Doggy Dogg
Passablement agacé d’avoir vu son ancien partenaire et son nouveau protégé lui balancer tacles sur tacles dans The Chronic, Eric Wright décide de leur administrer une bonne dose de « keeping it real » en retour.
Tourné en plein Compton, Real Muthaphuckkin G’s débauche les frangins B.G. Knocc Out et Dresta en featuring, Cold 187um en cameo (l’homme qui a vraiment inventé le G-funk NDLR) et même l’acteur Anthony Johnson qui interprétait « Sleazy-E » dans Fuck Wit Dre Day (pour cette fois-ci le faire abattre des mains d’Eazy-E en personne).
Bien que tout le monde ait conscience que le « little big man » de la côte ouest ne soit pas le emcee le plus technique de la terre, il n’en appuie pas moins là où ça fait mal (Snoop est traité d’anorexique, Dre accusé de battre des femmes et d’avoir abusé du mascara dans ses jeunes années) sur les sample de It’s Funky Enough et Eazy-Duz-It… deux titres produits par le bon docteur Young période Ruthless.
La ligne pour la postérité ? « Dre Day only meant Eazy’s payday » De un, parce qu’Eazy-E touche des royautés sur les sorties de Dr. Dre, y compris quand il le clashe. De deux, parce que Real Muthaphuckkin G’s sera son titre solo classé le plus haut dans les charts (42ème du Billboard).
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9. Back to Back (2015)
Les forces en présence : Drake contre Meek Mill
Vexé que le Canadien n’ait pas participé à la promo de son album Dreams Worth More Than Money sur Twitter (et peut-être aussi un peu parce qu’il lui a piqué la vedette sur son morceau R.I.C.O. présent sur ce même album), Meek Mill pense lâcher une bombe en révélant ô surprise que Drake n’écrit pas ses textes. Dommage pour lui que personne ne l’ait alors prévenu les années 90 étaient terminées.
Dans un monde virtuel ou le premier qui s’énerve a perdu et où les bases fans font la loi, la battle de MC qu’espérait le Philadelphien tourne au concours de CM, déluge de mèmes et de hashtags (#MeekMillBeLike) à l’appui.
Pire, après Charged Up Drake l’achève sur son propre terrain en lui balançant dans les gencives le freestyle Back to Back. Meek en est tellement groggy (sitôt sortie, sa réponse I Wanna Know est oubliée) que 3Peat, le troisième diss track prévu à son encontre, restera dans les cartons.
La ligne pour la postérité ? « Is that a world tour or your girl’s tour? » qui accentue encore plus le malaise – à l’époque en couple avec Nicki Minaj, Milly s’était en effet fait recruter pour effectuer les premières parties de sa tournée mondiale.
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8. No Vaseline (1991)
Les forces en présence : Ice Cube contre Jerry Heller et les N.W.A.
Après s’être laissé insulter deux ans durant par ses anciens comparses sans piper mot, O’Shea Jackson finit par en avoir ras la casquette (des Raiders) quand sur A Message to B.A. MC Ren clame haut et fort que la prochaine qu’il le croise, « il lui enfoncera un manche à balai dans le c*l ». La légende veut alors que le Cube Glacé ait écrit No Vaseline dans l’heure et demi suivante.
Rappant la rage au ventre à un contre cinq, sur un refrain qui scratche LL Cool J il démonte le Ruthless crew à coups de rimes qui lui interdirait aujourd’hui tout passage radio – et lui vaudrait accessoirement quelques procès de la part d’associations de lutte contre l’homophobie.
Toujours est-il que les N.W.A. ne lui répondront jamais, non pas qu’ils soient trop occupés à « vivre chez les blancs sans aucun renoi en vue », mais parce qu’ils vont finir par se séparer l’année suivante peu ou prou pour les mêmes motifs qui ont poussé Cube à quitter l’aventure.
La ligne pour la postérité ? Malheureusement « Cause you let a Jew break up my crew » pour laquelle le rappeur se fait accuser non sans raison d’antisémitisme.
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7. Back Down (2003)
Les forces en présence : 50 Cent contre Ja Rule et son Murder Inc.
Clairement pas le track le plus aiguisé de GRODT, Back Down symbolise toute l’ambiguïté de ces beefs où ce qui compte le plus n’est en réalité pas tant les skills au micro que l’image qui est celle de l’artiste à un instant T.
C’est ainsi que le cœur rempli de la rage d’Anakin, Curtis Jackson envoie une première fois au tapis Jeffrey Atkins, « Crack Child » et « Mitsubishi Tah » (lol) en sortant cette fois-ci des guns, non pas « de la taille de Lil Bow Wow » (encore une fois le TEXTE de Wanksta ne clashait pas la bande à Gotti), mais assez gros pour « mettre Shaquille O’Neal à terre ».
S’en suivront pendant de longs mois des salves menées par tous les membres de l’ogre G-Unit/Shady Records (Rap God compris) histoire de fermer pour de bon la parenthèse Murder Inc.
Quinze ans après, Ja Rule rumine toujours autant sa défaite.
La ligne pour la postérité ? Fiddy qui avoue le plus tranquillement du monde être le « New York City’s own bad guy », ce qui à l’époque des faits ne souffre d’aucune contestation.
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6. Fuck Wit Dre Day (And Everybody’s Celebratin’) (1992)
Les forces en présence : Dr. Dre & Snoop Doggy Dogg contre Luke du 2 Live Crew, Tim Dog et Eazy-E
Label de la discorde, Death Row décide avec ce second extrait de The Chronic de faire du clash un véritable fonds de commerce.
Quand jusque-là ce type de morceaux se destinait aux aficionados et à l’underground, Dre Day se voit doté de moyens conséquents (sortie single, clip à gros budget et rotations sur MTV et BET), quitte à ce que l’image supplante désormais le son.
Si Luke Skyywalker et Tim Dog (qui ça ?) en prennent pour leur grade pour leur Fakin Like Gangsters et Fuck Compton (plus Ice Cube en subliminal), l’essentiel du fiel du Doc et du Dog se concentre sur le pauvre Eazy-E.
Peu importe ici qui est le plus gangsta dans la rue, sur disque c’est Dre qui gagne.
[Oh et si vous vous demandiez pourquoi Anthony Johnson n’apparaît nulle part dans Real Muthaphuckkin G’s bien qu’il ait été payé pour, la rumeur veut que Suge Knigh ayant appris la nouvelle l’en ai ensuite empêché en le faisant menacer physiquement.]
La ligne pour la postérité ? Aux « Bow wow wow yippy yo yippy yay » et « Frisco dyke » empruntés respectivement à George Clinton et à Too Short, on préférera la première occurrence de « bootylicious », un terme qui sera popularisé neuf ans plus tard par Beyoncé et ses Destiny’s Child.
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5. Sucker M.C.’s (1983)
Les forces en présence : les Run DMC contre tous les maîtres de cérémonies qui se sentent concernés
Cas un peu particulier que ce Sucker M.C.’s puisqu’il ne s’agit pas d’un morceau clash à proprement parler (l’essentiel du texte tourne autour de la percée du groupe dans l’industrie). Tout juste Run et DMC (enfin surtout Run) lâchent de çà et là des piques que l’on pourrait croire adressées à un concurrent en particulier sans pour autant qu’aucun nom ne soit cité nulle part.
Non contente de faire rentrer le hip hop dans la modernité (ou quand le boom bap enterre définitivement les influences disco des pionniers tant au niveau de l’image que du son), cette face B inaugure ainsi sans le savoir ce qu’on appellera par la suite le « sub’ » ou le diss subliminal, soit en 2018 l’une des techniques marketing les plus éculées pour s’assurer d’avoir une place au centre des conversations sans se mouiller – cf. les serpents de mer Cardi B versus Nicki Minaj et autre Drake versus Jay Z.
Oui Sucker M.C.’s est l’un des titres les plus importants de l’histoire du rap.
La ligne pour la postérité ? « I’m DMC in the place to be/I go to St. John’s University! » qui réussit à donner un côté « too cool for school » à l’école.
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4. Ether (2001)
Les forces en présence : Nas contre Jay Z
Sur le point de sombrer dans l’oubli à force d’albums sans saveur, Nasir Jones retrouve le feu sacré en se disputant avec Shawn Carter la couronne de roi de New-York laissée vacante à la mort de Notorious B.I.G.
Après multiples escarmouches, il finit par sortir l’artillerie lourde avec la décharge d’énergie brute Ether.
Démarrant sur une reprise des coups de feu du Who Shot Ya? de Biggie et sur un sample de 2Pac s’époumonant « Fuck Jay Z » sur Fuck Friendz, Nasty Nas enchaîne ensuite les kaméhaméhas : artistique (accusation de vol de rimes), vie privée (révélation de sa relation avec Foxy Brown), déterrage de dossier (la chemisette de Hawaiian Sophie), jeux de mots graveleux (« Gay-Z and Cock-A-Fella Records »), absolument tout y passe.
L’impact est tel que pendant longtemps dans le rap « se faire Ether » sera synonyme de se prendre la pilule.
La ligne pour la postérité ? « Eminem murdered you on your own shit » qui pointe le fait que Jay Z se soit allégrement fait voler la vedette par le Slim Shady sur son propre morceau Renegade. Là encore l’expression est rentrée dans le langage courant.
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3. The Takeover (2001)
Les forces en présence : Jay Z contre Nas
Tout comme la question de savoir qui des Chocapic ou des Frosties sont les meilleures céréales ou qui de 2Pac ou Biggie est le meilleur rappeur, déterminer qui de Nas ou de Jay Z a sorti la meilleure diss track divisera les rangs des fanatiques jusqu’à la fin des temps.
Si avec le recul l’avantage est donné au premier, c’est que musicalement le très calculé Takeover a quand même mieux vieilli (merci à la prod’ du jeune Kanye et son magistral sample des Doors), tandis qu’Hova devenu entretemps « bigger than rap » a fait de Nas son employé en le signant en 2006 sur Dej Jam.
Une démonstration de force qui en ferait presque oublier que Prodigy des Mobb Deep se prend au passage une sacrée fessée.
La ligne pour la postérité ? « That’s a one-hot-album-every-10-year average » qui descend en flamme la discographie de son rival au moment même où Jay sort Blueprint, l’un des plus grands classiques du rap US.
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2. Hit’em Up (1996)
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Persuadé que les newyorkais Puff Daddy et Notorious B.I.G. ont tenté de le faire assassiner deux ans plus tôt, 2Pac s’est depuis embarqué dans une guerre des côtes sans merci qui culmine avec ce Hit’em Up aussi vindicatif que venimeux.
Loin de donner dans la subtilité, ‘Pac et ses Outlawz font feu de tout bois quitte à taper très en dessous de la ceinture (à ceux qui trouvent que Pusha T va trop loin en attaquant Noah ’40’ Shebib sur sa sclérose en plaques, rappelons que Prodigy est ici raillé pour souffrir de drépanocytose) ou à directement menacer de mort leurs ennemis.
Le décès par balle du Californien d’adoption trois mois après la sortie du titre donnera alors à ces paroles une gravité nouvelle et changera profondément le visage du rap. Non seulement jamais plus un clash ne connaîtra une telle intensité (et Dieu merci), mais depuis cet évènement tragique les inimitiés entre rappeurs tiennent plus du combat de catch que du règlement de comptes à O.K. Corral.
La ligne pour la postérité ? Le sauvage « I fucked your bitch you fat motherfucker! » qui aujourd’hui encore alimente les conversations.
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1. The Bridge is Over (1986)
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Tout commence lorsque MC Shan rappe sans trop d’arrière-pensées sur The Bridge produit par Marley Marl que le hip hop est né à Queensbridge (« This is the place where stars are born »). Cette hérésie déclenche l’ire de KRS-One, bien au fait que, le 11 août 1973, DJ Kool Herc s’est pour la première fois mis à rapper devant une foule lors d’une house party au 1520 Sedgwick Avenue dans le Bronx.
« Les Guerres du Pont » débutent alors entre « QB » et « BX ». Des guerres qui n’en ont que le nom puisque qu’il s’agit uniquement de prouver toute sa crédibilité et toute son authenticité au micro (et au micro seulement), et ce sans (trop) s’insulter.
Point d’orgue de ces échanges, The Bridge is Over vient clôre les débats grâce à son approche beaucoup plus radio friendly que la concurrence. Et c’est ainsi qu’autour de cet édifice de la culture rap se sont cristallisés pour le pire et pour le meilleur mythes et légendes encore d’actualité de nos jours (celui de l’âge d’or, celui de la saine compétition qui canalise la violence, celui du morceau qui stoppe une carrière…).
La ligne pour la postérité ? « Manhattan keeps on makin’ it/Brooklyn keeps on takin’ it/Bronx keeps creatin’ it/And Queens keeps on fakin’ it » qui a quand même réussi à jeter le discrédit sur tout un quartier pendant de très longues années.
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