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La petite histoire des chaînes en or dans le rap

La petite histoire des chaînes en or dans le rap

Depuis que le rap est rap, il en existe de toutes les tailles, à tous les prix et pour tous les goûts…

De tous les accessoires des emcees, en est-il un autre qui symbolise mieux la culture rap que les chaînes en or ?

Indispensables du vestiaire, elles tiennent dès le départ tout autant de l’étiquette propre au milieu que du signe extérieur de richesse.

Et tant pis si parfois trop caricaturales elles finissent régulièrement caricaturées : jamais leur popularité ne se dément.

Retour en images sur quatre décennies d’ostentation.

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La base

Lorsque comme Kurtis Blow on peut se vanter d’être le tout premier rappeur ever à signer en major (en 1979 sur Marcury Records) et qu’en l’on décroche dans la foulée le tout premier disque d’or du genre (en 1980 avec le single The Breaks), quoi de plus naturel que de s’afficher en cover de son album avec pas moins de six différentes chaînes autour du cou ?

Sans le dire, c’est ici toute une posture qui vient de naître : un rappeur couronné de succès se doit d’afficher sa réussite – une posture qui s’accompagnera très vite de son très ambigu corollaire : un rappeur qui veut faire croire qu’il a du succès se doit de faire croire qu’il a réussi.

Pour la postérité

Question look, difficile de faire plus iconique que Run, DMC et Jam Master Jay. Outre leurs éternels baskets Adidas, chapeaux et autres lunettes Cazale, le trio est également responsable d’avoir popularisé LA chaîne la plus emblématique de la décennie : la dookie chain.

Plus ostentatoire tu meurs, ce collier aux faux-airs de cordes tressées sera ensuite aperçu aux cous des vendeurs de disques certifiés platine que sont les Beasties Boys et Marley Marl. LL Cool J, pour son troisième album sorti en 1987, n’hésite pas à en faire porter un à la panthère noire prise en photo sur la pochette.

Opulence, opulence

Niveau frime, le game prend ensuit une nouvelle tournure avec Slick Rick, alias le Mister T britannique, qui arbore à chacune de ses apparitions une quincaillerie ayant de quoi faire rougir la Reine d’Angleterre.

Si question quantité il y a de quoi là remplir un lave-vaisselle, pas dit cependant que question qualité, il soit cependant très prudent pour l’auteur de La Di Da Di de mettre le nez dehors par temps de pluie – au risque faire tomber un mythe, tout cela respire quand même un peu trop le plaqué pour être honnête.

Héritage

Si les rappeurs sont très vite allés puiser des idées tenues chez les maquereaux et les dealeurs au coin de leurs rues, ils se sont également inspirés de l’image d’Épinal d’anciens monarques africains du temps où le continent mère contrôlait l’immense majorité des réserves mondiales des métaux les plus précieux.

Ainsi quand en 1988 Big Daddy Kane sort son album Long Live The Kane, difficile de ne pas y voir des références lointaines aux pharaons égyptiens ou à Kanga Moussa, l’empereur malien du 14ème siècle considéré comme l’homme le plus riche de l’histoire de l’humanité.

Le goût de la revanche

Voix des sans-voix à ses débuts, le hip-hop s’adressait à celles et ceux situés au plus bas de l’échelle économique et sociale, celles et ceux pour qui le rêve américain était un mirage.

Assez paradoxalement, le rappeur se pavanant en bijoux et marques de luxes (comme ci-dessus Eric B. & Rakim en couverture de leur bien nommé Paid In Full) finit par incarner aux yeux de son public une certaine idée de la revanche, la chaîne en or se confondant avec un trophée exhibé à la face de sa condition d’origine.

Une question de loyauté

Quant au début des années 90, le rap accède au rang de force culturelle et commence à se structurer commercialement, la signification des chaînes évolue.

Plus uniquement considérées comme une façon de jouer à celui qui a la plus grosse entre artistes, elles deviennent un symbole d’allégeance aux labels nouveaux qui émergent, les Death Row, Cash Money & Co. calquant ici le système de représentation des gangs sur leurs organigrammes internes.

Se voir décerner une chaîne du Couloir de la Mort (en or pour les employés, en diamant pour les artistes) vaut alors dans les rues de Californie tous les contrats du monde.

Brille-brille

Si vous avez connu le rap dans la seconde partie des années 90, impossible de ne pas vous rappeler du tank doré qu’arborait l’armada de rappeurs signés sur No Limit.

Et si vous vous demandiez pourquoi ce dernier brillait tant, l’idée en revient au maître des lieux Master P : précédemment disquaire, il s’était aperçu que la plupart des pochettes d’albums de rap étaient beaucoup trop sombres pour distinguer du premier coup d’œil l’identité des artistes.

Sa solution ? Créer un logo aussi rutilant qu’ostentatoire pour en faire le signe de ralliement de tous ses soldats.

Ni une, ni deux, il s’est alors rendu de ce pas chez un joaillier pour qu’il lui fabrique la toute première chaîne No Limit à partir de deux de ses montres faites d’or et de diamant.

S’il ne devait en rester qu’une

No Limit, Ruff Ryders, Young Money, G-Unit… de toutes les chaînes exhibées par les différents crews, la « Roc-A-Fella chain » demeure très certainement la plus mémorable.

Composée d’un disque vinyle et d’une bouteille de champagne entremêlés, elle est depuis plus de vingt ans l’instrument de branding préféré de Jay Z, quand bien même son label a officiellement fermé ses portes en 2013.

Matraquée dans les clips au début des années 2000, elle n’en était pas pour autant offerte à tout le monde (pour l’anecdote, considéré comme plus flemmard que son compère Chris au sein du groupe Young Gunz, Neef a ainsi dû attendre deux ans de plus que lui pour avoir la sienne), quand bien même elle peut être vue pour diverses raisons sur des éléments extérieurs (Lebron James, Beyoncé, DJ Khaled…).

« Nobody fucks with the Jesus »

Sans l’ombre d’un doute, le pendentif le plus populaire dans le rap depuis ce jour où Notorious BIG l’a placé sur son torse pour la toute première fois.

[La rumeur veut ensuite qu’après sa mort Jay Z l’ait portée en couverture du magazine XXL de décembre 1999.]

Reproduit dans tous les métaux et toutes les pierres possibles, il a été porté au bas mot par 90% des rappeurs US.

Les années folles

Au pic de leur domination commerciale au début du siècle, les rappeurs s’embarquent dans une course à l’ostentation qui aujourd’hui encore laisse songeur.

Point d’orgue de ces délires de nouveaux riches, la chaîne Crunk ain’t dead de Lil Jon qui du haut de ses 73 carats et ses 3 756 diamants (19 centimètres de haut, 2,3 kilos sur balance tout de même) a décroché une mention au Livre des Records.

Kray !

Bon goût et subtilité toujours, impossible de ne pas mentionner ici la BIG ASS CHAIN de T-Pain (un demi-kilo sur la balance), ou le sarcophage que Kanye West arboré lors de la cérémonie des BET Awards de 2010 et dans l’inoubliable clip de Power.

Parfois moins bête qu’il en l’air, Kanye s’est cependant fendu à la même époque du morceau Chain Heavy dans lequel il disserte au propre comme au figuré du poids que fait peser sur les épaules (et sur les cervicales) le fait de se trimballer avec un médaillon qui touche à son pénis.

Joujoux hors de prix

Autre incongruité observée au fil du temps, cette manie des emcees à se faire fondre autour du cou des personnages de dessins animés.

Dans le désordre, cela a ainsi donné Garfield pour Tyga, Cortex pour Petey Pablo, Mario pour Soulaj Boy, Sonic pour Chris Brown, la panthère rose pour Waka Flocka et bien évidemment Bart Simpson pour l’inénarrable Gucci Mane.

Si à l’heure d’aujourd’hui les exégètes s’écharpent encore sur le sens à donner (comment ça ton rappeur préféré a la mentalité d’un enfant de 10 ans ?), il n’en reste pas moins qu’aucune chaîne au monde ne crie plus « allez-vous faire enc*ler » aux services fiscaux et aux collecteurs de pensions alimentaires.

La connexion cubaine

Présente depuis toujours dans le rap, la maille Cuban Links a été popularisée dans les années 70 par la communauté cubaine de Miami – raison pour laquelle on l’appelle aussi la Miami Cuban links.

Très vite adoptée par le pionnier DJ Kool Herc, elle n’a ensuite plus jamais quitté le rap, sa popularité connaissant même un fort regain dans les années 10.

Bon attention, une Cuban Links ça coûte au bas mot dans les 20 000 dollars pour du 18 carats, un prix en grande partie justifié par la douzaine d’heures d’artisanat nécessaires pour la concevoir.

Jeu, set & match

Moins imposante, mais tout aussi incontournable, la maille tennis se compose d’un assemblage de diamants.

La légende veut qu’elle ait été surnommée ainsi suite à un match de tennis de l’US Open en 1987 au cours duquel le bracelet de cette maille que portait au poignet Chris Evert a volé en éclat. L’Américaine qui tenait énormément à ce bijou a immédiatement demandé l’arrêt de la partie pour pouvoir récupérer les différents morceaux tombés sur le court.

De cet incident est né le surnom « tennis bracelet », puis « tennis chain ».

Tout ce qui brille n’est pas de l’or

Or rose, or blanc, platine, diamants, émeraudes… en vrai à moins de vous appeler Esteban ou Mouammar Khadafi à la belle époque, il est impossible de se payer de telles fantaisies sans passer le reste de sa vie à manger des châtaignes matin, midi et soir.

Ici comme ailleurs, les fanfaronnades des uns et des autres sur le poids de leurs breloques sont (évidemment) à prendre avec précaution.

Autres secrets de polichinelle : non seulement les rappeurs payent leurs chaînes à crédit (enfin quand ils les payent…), mais sitôt leurs campagnes promotionnelles terminées, ils s’empressent d’aller les faire fondre pour donner l’illusion d’avoir toujours de nouvelles pièces.

Parmi les très rares à avoir ici brisé l’omerta, on retrouve Big Sean ou Tyga qui ont chacun admis avoir porté du fake à leurs débuts.

Rossception

Très probablement le pendentif le plus génial et le plus débile de toute l’histoire des pendentifs les plus géniaux et les plus débiles.

Et si par mégarde vous pensiez que le Bawse portant un pendentif du Bawse ne poussait pas assez loin le délire méta, regardez donc cette pub Nike de 2010 dans laquelle le Bawse porte un pendentif du Bawse portant un pendentif du Bawse.

Bawse !

Hashtag malaise

Loin de se contenter de parader avec leurs chaînes, les rappeurs ne manquent pas d’en faire un passage obligé dans leurs textes. Malheureusement, la sortie en bout de virage arrive parfois sans crier gare.

Parmi la longue liste des nominés pour le fail d’or, chacun dans son style LL Cool J et Drake se tire la bourre pour la première place : le premier avec « Si tu ne me juges pas à chaînes en or / J’oublierais les chaînes en fer que tu m’as passées » sur Accidental Racist (HEIN ?!?), le second avec « Got so many chains they call me CHAINing Tatum » sur Pop Styles que même un Lil Wayne au sommet de son addiction à la codéine n’aurait jamais osé imaginer.

Jay Z told you

Petit conseil à tous ceux d’avis qu’avoir l’air riche c’est bien, mais pour qui être riche pour de vrai c’est encore mieux : suivez ce petit conseil de Shawn Carter, 25 ans de métier et 800 mil’ sur le compte en banque, qui sur Poppin’ Tags rappait « Top down, my cash is up / Gold chain, I don’t give a fuck ».

Traduction : « Rien à foutre de claquer de l’oseille dans le superficiel, au pire faites comme moi en investissant dans quelques montres que vous pourrez revendre à l’occasion en tirant une plus-value. Et n’oubliez surtout pas de mettre de côté ».

MVPs

Alors que la crise financière de 2008 s’est faite sentir jusque dans le monde du hip hop (face à la pénurie de clients, le célèbre joaillier Ben Baller avait dû à l’époque se résoudre à mettre la clef sous la porte), en 2013 un groupe se résout à remettre le bling-bling à l’honneur avec un hit que personne n’attend.

Ce groupe c’était les Migos, et le hit c’était Versace.

Depuis Quavo, Offset et Takeoff n’ont eu de cesse de redéfinir les standards en la matière à coup de chaîne Yoda, de chaîne Raindrop, de chaîne Datway et autre chaîne « Ratatouille » (!).

Oui, ces gens méritent sans délai un article dédié.

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