Avec la série « Ce jour où… » Booska-P revient sur ces anecdotes de plus ou moins grande importance qui ont marqué l’histoire du rap. Aujourd’hui place à ce jour où Shawn Carter a dérapé pour la dernière fois de sa carrière…
Avis aux plus jeunes : non Jay Z n’a pas toujours été ce rappeur aux faux-airs de notable qui dans ses textes évoque les méandres de sa vie de couple, son psy ou ses goûts en matière d’art.
Il fut en effet un temps où celui qui n’était pas une multinationale du rap à lui tout seul se comportait dans l’industrie du disque comme l’ex drug dealeur tout juste débarqué de son Marcy Project natal qu’il était il y a encore peu.
Ce temps-là c’était la seconde moitié des années 90.
Bandeau Rocawear sur la tête, concerts donnés vêtu d’un gilet par balles, Cristal qui coulaient à flot dans les clips et dans les clubs… Jay Z pouvait alors se targuer d’une crédibilité de rue sans faille tout en vivant sa vie de nouveau riche sans le moindre complexe.
Ce temps-là prit fin la nuit du 2 décembre 1999 lorsqu’il poignarda Lance ‘Un’ Rivera.
Retour au siècle dernier
Tout juste sorti du carton plein Vol. 2: Hard Knock Life qui reste à ce jour l’album le plus vendu de sa carrière avec cinq certifications platine au compteur, Jay Z décide alors, non pas de se reposer sur ses lauriers, mais d’enchaîner avec un nouvel opus blockbuster, Vol. 3… Life and Times of S. Carter.
Prévu pour le 28 décembre 1999, le projet est non seulement l’un des plus attendus de l’année, mais il est aussi et surtout celui qui doit le couronner pour de bon nouveau roi du rap deux ans après le décès de Notorious B.I.G.
Malheureusement pour lui, ce Volume 3 est piraté un mois avant sa sortie. Si l’on parle ici d’un temps sans internet où le piratage se limitait à vendre à la sauvette des copies physiques, la nouvelle n’en plombe pas moins sérieusement l’ambiance chez Def Jam/Roc-A-Fella, et ce d’autant plus que dans un premier temps personne ne sait d’où vient la fuite.
Très vite cependant une rumeur des plus insistantes veut que le responsable de cette tentative de sabordage soit un certain Lance Rivera, un producteur connu pour notamment avoir collaboré avec la Junior Mafia de Biggie ou Cam’ron sur son premier solo Confessions Of Fire (mais si rappelez-vous cette pochette culte).
Hasard de la vie, Rivera et Jay se retrouvent tous deux conviés peu de temps après à la soirée d’écoute de l’album Amplified de Q-Tip qui se tient au très select Kit Kat Club de Manhattan.
Blood on the dancefloor
Après avoir donné un show case dans un établissement voisin, Jay Z et son entourage arrivent sur les lieux aux alentours de minuit. Sitôt sur place, ils apprennent la présence de Lance Rivera et ni une, ni deux, se dirigent vers lui.
Si à partir de là les témoignages divergent sur l’exact déroulement des évènements, il n’en demeure pas moins que quelques minutes plus tard Rivera doit être transféré en urgence à l’hôpital après avoir reçu deux coups de couteau (l’un à l’épaule, l’autre à l’abdomen) portés avec une lame longue d’une vingtaine de centimètres.
Dans la mêlée, plusieurs de ses proches ont également été attaqués à coup de bouteilles sur la tête.
Si Jay Z quitte les lieux avant l’arrivée de la police, l’incident prend une telle ampleur médiatique dans les heures qui suivent qu’il finit par se rendre de lui-même dès le lendemain aux autorités.
Débute alors une procédure judiciaire qui va durer plus de deux ans.
Libéré quelques heures plus tard en échange d’une caution de 50 000 dollars, Shawn Carter clame haut et fort son innocence.
Mieux, tandis que Dame Dash nie jusqu’à la moindre implication dans l’altercation de son partenaire, l’avocat de Jay, Harvey Slovis, n’hésite pas à déclarer en conférence de presse que « penser que ce type qui est aussi doux qu’il est possible de l’être puisse être impliqué de quelque manière que ce soit dans cet affaire il faut être fou ».
« Je pensais que c’était l’Amérique… »
Show business oblige, le Jéhovah du game n’hésite pas à mettre indirectement en scène cette séquence quelques mois à peine avant son procès.
Aux côté de R.Kelly, il enregistre et clippe en mars 2001 le morceau Guilty Until Proven Innocent dans lequel il se plaint du traitement injuste qui lui est réservé et où il accuse la presse de le diaboliser.
Si la manœuvre est habile commercialement parlant (Ja Rule et son Murder Inc. en feront de même en 2005), elle n’a cependant que peu avoir avec les faits. Face à la gravité des sanctions encourues (il risque jusqu’à 15 ans de prison), Hova finit par admettre sa pleine et entière culpabilité et accepte de plaider coupable.
Quand vient ainsi son procès au mois d’octobre, il limite la casse au maximum et n’écope que de trois années de mise à l’épreuve.
Sur le plan civil, il accepte même dans la foulée de dédommager à l’amiable Rivera d’une somme comprise selon les sources entre un demi-million et un million de dollars.
Si l’histoire se finit somme toute plutôt bien pour Jay, impossible de ne pas imaginer qu’en cas de longue peine, c’est toute l’histoire du rap tel que nous la connaissons qui aurait été chamboulée (pas de Kanye West, pas de Rihanna, pas de Rick Ross, pas de Young Jeezy…).
Mais que s’est-il vraiment passé ?
Généralement discret sur ses mésaventures, au cours des quinze dernières années Jay Z est néanmoins revenu à plusieurs reprises sur cet épisode peu glorieux – cf. encore récemment ces quelques lignes de Kill Jay Z, le morceau d’ouverture de 4:44.
Dans son autobiographie Decoded sortie en 2010, il écrit ainsi que la nouvelle du piratage de son album lui a fait le même effet que s’il avait appris quelques années plus tôt que la baraque où il planquait sa drogue avait été dévalisée.
[Pour info, Life and Times Of S. Carter débutera quand même numéro 1 des charts et se vendra à plus de trois millions d’exemplaires.]
Pour ce qui est de l’agression en elle-même, il décrit un Rivera « particulièrement bruyant » face à lui, ce qui l’a poussé dans un premier temps à retourner au bar pour éviter la confrontation, avant de revenir sur ses pas aveuglé par la colère.
« La seule chose dont je me souviens suite à cela c’est l’ambiance de fin du monde qui régnait alors dans le club… Ça et le fait que Rivera ait filé au commissariat pour m’inculper. »
Dans un autre passage, il explique avoir pris la décision de plaider coupable suite à l’acquittement de Puff Daddy lors de son procès pour port d’arme, un second verdict d’affilé favorable de la part de la justice fédérale lui paraissant alors très peu probable.
Rayon anecdote enfin, Jay révèle que la doudoune bleue Rocawear avec laquelle il a été pris en photo lorsqu’on lui a passé les menottes face caméra s’est retrouvée en rupture de stock en moins de temps qu’il n’a fallu pour la mettre en vente.
Plus philosophe, le mogul déclarait enfin en 2013 dans le magazine Vanity Fair : « J’ai mal agi et j’en ai payé le prix. Le truc c’est qu’il faut comprendre que d’où je venais les bagarres c’était tout le temps. Tu te pointais en boîte, tu te battais. Parfois les bouteilles volaient, parfois ce sont les couteaux qui étaient sortis. Si vous saviez le nombre de fois que je me suis retrouvé dans une situation identique à celle-là auparavant… Si à l’époque j’avais encore cette mentalité, c’est à partir de là que je me suis dit que je n’étais plus la même personne. »
Sans déc’ ?
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