Avec la série « Ce jour où… » Booska-P revient sur ces anecdotes qui ont marqué l’histoire du rap. Aujourd’hui place à ce jour où le le chef de file des Niggers With Attitude s’est offert un joli coup de publicité…
Au début des années 90, le cauchemar des censeurs et ligues de vertus américaines s’appelait Eric ‘Eazy-E’ Wright.
Ghetto boy de Compton, ancien dealer revendiqué, si de par son simple profil le fondateur du « groupe le plus dangereux du monde » en agaçait déjà plus d’un, sa musique elle avait elle le don de mettre en rogne les plus hautes instances.
Ce fut par exemple le cas en août 1989, quand quasiment un an jour pour jour après avoir sorti le brûlot Fuck tha Police dans lequel était promis « un bain de sang de flics en plein Los Angeles », lui et toute sa bande ont reçu une lettre du FBI leur reprochant de promouvoir avec un peu trop d’entrain la violence et l’irrespect.
Ce fut à nouveau le cas en 1991 à l’occasion de la sortie du second album des N.W.A. intitulé Efil4zaggin/Niggaz4Life qui a provoqué l’ire du Parents Music Resource Center (le comité en charge d’apposer le fameux bandeau Parental Advisory sur les contenus les plus délicats) en raison de la misogynie de ses lyrics – genre les très pornographiques She Swallowed It ou I’d Rather Fuck You, mais pas que.
Loin de faire figure de modèle à suivre pour l’Amérique bon chic bon genre donc, comment diable Eazy « muthaf**kin’ » E a-t-il ainsi pu se retrouver convié le 18 mars 1991 à la Maison Blanche, et qui plus est pour participer à un repas en compagnie du président George H. W. Bush et ses partisans ?
La faute à un cafouillage informatique
Mauvais garçon sur scène, en privé Eazy-E n’en multiplie pas moins les donations aux associations caritatives de son quartier. Repéré par le tout nouveau logiciel du Parti républicain qui traque les donateurs potentiels, il a ainsi reçu une invitation signée par le futur candidat à la présidentielle de 1996 et très conservateur Bob Dole en échange de la modique somme de 1 250 dollars (un peu plus de 2 000 euros actuels).
Piqué de curiosité, Eazy s’acquitte alors de la somme et persuade son manager Jerry Heller de l’accompagner.
Évidemment sitôt connue, c’est peu dire que la nouvelle fait son petit effet : outre un article publié le jour même de l’événement part le magazine Newsweek intitulé Hey Mister President ! Guess Who’s Coming To Lunch ? (« Hey monsieur le Président ! Devinez qui vient déjeuner ? »), la chaîne de télévision CBS envoie carrément une équipe filmer l’arrivée du duo à l’aéroport !
Dans l’impossibilité d’annuler leur venue, la Maison Blanche opte pour le silence radio…
« Si vous avez l’argent, ils ont le temps »
À en croire l’autobiographie Ruthless: A Memoir de Jerry Heller sortie en 2006, ce « luncheon » se serait passé pour le mieux.
De un parce qu’Eazy-E lui avait promis de ne pas venir armé et qu’il ne s’était pas fait chopper à l’aéroport avec de l’herbe, et de deux parce que sociologiquement parlant tout cela ne manquait quand même pas de piquant.
« Nous avons mangé du saumon poché et du bœuf rôti. Eric était assis à côté d’une dame d’un certain âge qui venait de Dallas dont j’étais prêt à parier qu’elle ne s’était jamais de sa vie approchée d’aussi près d’une personne de couleur. Franchement, je crois qu’elle était pétrifiée ne serait-ce que de regarder ce petit gars à côté d’elle. »
À sa décharge, Eazy s’est pointé au repas habillé, non pas d’un smoking, mais d’une casquette des L.A. Kings et d’une veste en cuir, le tout en empestant la weed à tout-va.
« Personne n’a jamais été aussi défoncé que lui depuis que le fils de Gerald Ford s’est fait choper sur le toit de la Maison Blanche en train de se fumer un pétard. Et Eazy fumait de la bien meilleure qualité que lui. »
Black Republican
Reste que si le « Prez’ » George H.W. Bush n’ait ni de près ou de loin été au courant de la venue du rappeur et si selon Heller personne dans l’assemblée ne savait qui il était (Cf. à 1 minute 45 dans la vidéo ci-dessus), la présence du N.W.A. n’en a pas moins énormément surpris, et ce d’autant plus qu’en amont un porte-parole de Ruthless avait déclaré à son propos qu’il « adorait le président », qu’il voyait en lui « un vrai altruiste », et qu’il trouvait qu’il faisait « du bon boulot avec l’opération Tempête du désert ».
S’agissait là d’une forme plus ou moins indirecte de soutien à un parti politique pourtant pas réputé des plus concernés par le sort des classes laborieuses noires ?
Interrogé à sur ce point peu de temps après, l’intéressée s’est fait on ne peut plus clair : « Si je suis républicain ? Mais trop pas. Je n’en ai rien à péter. Comment pourrais-je dire à la police d’aller se faire foutre et être républicain ? Déjà je ne vote pas, ça ne sert à rien, et en plus je me fous de savoir qui est le président. »
Puis de continuer sur les raisons qui motivé son choix : « J’y suis allé parce que ces motherf*ckers m’ont demandé d’y aller (…) Je voulais voir ce dont il pouvait bien parler entre eux (…) Ils étaient là à parler de cette p*tain de guerre, de ci et de ça… C’était bien du vent. »
Ce qui n’est pas du vent en revanche, c’est qu’en allant troller l’establishment pour même pas le prix d’une soirée arrosée dans un club, il a réussi à faire parler de lui à l’échelle nationale à une époque où le rap, et a fortiori le gangsta rap, rencontrait toutes les peines du monde à se faire reconnaître sur la scène mainstream.
[Et tant pis si Ice Cube le lui reprochera dans les grandes largeurs dans son célèbre morceau clash No Vaseline où il répète en boucle « I never have dinner with the President ».]
Toujours est-il qu’aujourd’hui un tel move aurait beaucoup moins d’impact, tant il est devenu banal de voir les rappeurs fricoter avec le pouvoir, de Kanye West et son « bro » Donald Trump en passant par les années Obama où tous les DJ Khaled, Pusha T, Rick Ross et autre Jay Z étaient accueillis à bras ouvert dans le Bureau ovale.
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