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Rap & Afrique #1 : Made in west Africa ! [DOSSIER]

Rap & Afrique #1 : Made in west Africa ! [DOSSIER]

A travers une série de dossiers, Booska-P vous propose de découvrir ou redécouvrir les rappeurs qui font le hip-hop africain. Première étape : l’Afrique de l’Ouest !

« Le rap made in West Africa » a longtemps évolué comme une utopie dans l’ombre du rap français. Au bout de cette longue période, le rap africain, autrefois très engagé (porté dans ses premières heures par Positive Black Soul), va finir par rompre avec la monotonie et s’ouvrir aux expériences de métissage de la musique africaine et du hip-hop venus d’ailleurs. De la musique afro-beat, au rap dynamique de Sarkodie, en passant par les rimes techniques de Kiff No Beat, l’industrie du rap africain ouvre la voie à une jeunesse talentueuse et motivée. De Dakar jusqu’à Lagos, beaucoup de jeunes débrouillards bourrés de talents et avides de succès bossent dur en studio. Un objectif : flirter avec le haut niveau.

En Afrique de l’Ouest, même si les rappeurs adeptes de la langue de Shakespeare sont largement en avance sur les francophones, c’est une industrie qui, dans son ensemble, donne de plus en plus de lourd : que ce soit avec le rap commercial ivoirien, l’egotrip moderne et soigné du Bénin, ou les cocktails hip-hop et afro-beat anglophones ; un potentiel réside clairement dans l’ouest africain. Même s’ils ont mis le temps, les rappeurs prendront rapidement conscience que leur héritage musical traditionnel reste le meilleur moyen de s’exprimer et de créer un concept urbain à l’africaine.

Les rappeurs ouest-africains déjà très connus

Les ambiances festives ghanéennes et nigérianes mêlées au prods hip-hop, mixées à l’afrobeat ont, dès la première heure, contribuées à créer une certaine notoriété au rap de l’Ouest. Aux gros succès du rap anglophone précède l’afro-beat créé par Fela Kuti personnalité nigériane sulfureuse et artiste éclectique qui a mêlé rythmes yorubas, textes engagés et saxophones.

Les rappeurs nigérians ont puisé énormément dans cette tendance ; et un peu partout, hip-hop US, blues, musiques anglaises, pour créer ce qu’on peut qualifier aujourd’hui de « rap naija » (rap nigérian). Le succès de l’afro-beat, le développement des industries musicales anglophones et la bonne exposition va permettre de voir très tôt émerger des rappeurs africains qui vont très vite se faire connaître.

Wizkid, meilleur exemple de cette vague, s’illustra en imposant ses vibes aux quatre coins du globe grâce à un style unique, une authenticité et une polyvalence musicale, mélange d’afro-pop, rap et chant. Le prodige de 27 ans originaire de Lagos (une ville du Nigeria où la plupart des habitants vivent avec moins d’un euro par jour) a su gravir les échelons dans un underground où les chances de cartonner sont très maigres.

Depuis 2017, le rappeur a pris de l’ampleur grâce à un contrat avec Sony Music International (le plus gros deal signé par un Africain), de grosses collaborations avec Chris Brown et Drake et des tournées de concerts, de Bamako à Freetown, de Dakar à Libreville.

D’autres rappeurs africains anglophones ont connu de gros succès grâce au même modèle artistique, phrasé rap sur rythmique africaine, comme les Nigérians Ice Prince, Olamidé ou les Ghanéens Ayigbé Edem et Sarkodie. Ce dernier rappe dans sa langue d’origine, le twi, mettant en avant sa culture avec son flow rapide et saccadé. Ayigbé Edem mélange hiplife et rap en chantant en ewé, un dialecte partagé entre le Ghana et le Togo. La plupart des rappeurs africains anglophones se plaisent à ce genre de mélanges linguistiques afin de rendre leur rap le plus original possible, c’est un rap décomplexé.

Ils peuvent ainsi rapper en pidgin (argot, broken english parlé au Nigéria), ou se trémousser sur des morceaux très ambiancés, c’est un concept urbain dont ils fixent eux-mêmes les limites. Lagos est une ville où grandissent de nombreux rappeurs prometteurs qui évoluent à vive allure comme Lil Kesh ou Phyno ; signe que les rappeurs africains ne sont pas là pour faire de la figuration. Il faut juste traverser le Benin, le Togo et le Ghana pour découvrir un autre pays ou l’industrie du rap ne fait pas dans la dentelle, la Côte d’Ivoire.

L’exposition du showbiz ivoirien et les majors

En 2017, Sony Music et Universal vont s’installer à Abidjan et rivaliser pour signer les talents du continent qui ne cessent d’émerger. Selon José Da Silva, patron de Sony Music Côte d’Ivoire, un énorme potentiel réside en Afrique de l’Ouest : « On souhaite que l’Afrique bénéficie des mêmes structures de production, des mêmes investissements dans le domaine de la culture, que les autres continents. Mais on ne fait pas dans l’humanitaire. Les majors regardent les chiffres : il y a 700 millions de téléphones portables en Afrique, le streaming arrive. L’Afrique est déjà un marché important et il va exploser. »

Kiff No Beat, du rap technique et original

Ce sont les premiers à être signé en major. Aujourd’hui, ils règnent en rois dans le domaine du rap d’Afrique francophone. Les Kiff No Beat ont su se distinguer grâce à leur musique éclectique, leur travail soutenu, leur charisme et un bon sens du marketing basé sur la fusion des genres. Ils ont imposé leur marque avec des morceaux comme Pourquoi tu dab, dès leur signature avec Universal. « Pendant des années, explique Didi B, on faisait tout nous-mêmes. Alors le fait qu’Universal finance ce clip avec un réalisateur nigérian, ça a été une claque énorme pour nous. Ils n’étaient pas obligés. On a senti qu’on avait changé de catégorie. »

Ils seront suivis chez Universal Music Africa par Ténor, récemment signé. Un rappeur à l’image du showbiz africain en 2018, plein de fougue, imprévisible et dynamique. A 19 ans, c’est un artiste avec un style particulier usant d’humour aux accents camer rempli d’argot. C’est presque pareil pour l’Ivoirien Suspect 95 qui offre rap egotrip beaucoup plus commercial et enjaillé. L’ingé’ son Shado Chris signe à son tour en major chez Warner Music France, mais surtout pour mettre en évidence ses talents de chanteur.

Vétérans toujours d’actualité et jeunes prometteurs

Le rapgame cain-fri peut compter sur ses nouvelles pousses, mais également sur ses vétérans, des rappeurs qui ont connus les sommets en Afrique au fil des années. C’est l’occasion de faire escale à Cotonou au Bénin, où les têtes d’affiche s’efforcent de balancer constamment du lourd à coup de textes egotrips soignés et travaillés. Cotonou City Crew est l’un des crews les plus soudés de la côte ouest, alignant depuis des années hits sur hits. Ancien membre de ce crew, Blaaz est un rappeur aux lyrics crues qu’on ne pourrait ignorer en Afrique de l’Ouest pour ses tubes Temps Mort ou Alerte Rouge.

Aujourd’hui, comme le nom de son label l’indique, c’est un self-made-man, un homme d’affaires rigoureux qui a lancé un certain Fanicko. Ces douze derniers mois, Fanicko a su imposer sa voix, son style original et frais. Lorsqu’il collabore avec Nasty Nesta membre du CCC ça donne No palaba un résultat plutôt original et dansant qui prouve qu’ils sont des rappeurs francophones qui s’adaptent et sont très ouverts aux influences de l’afro et de la worldmusic.

D’autres rappeurs sont moins connus, mais très prometteurs. On peut notamment faire référence au très productif Malien Iba One, qui s’est fait connaître via ses collaborations avec Sidiki Diabaté. Certains peuvent être tempérés dans leurs textes comme le Sénégalais Dip Doundou Guiss, réputé pour la profondeur de ses écrits, et d’autres moins comme le Béninois Vano Baby, qui crée la controverse à chacune de ses sorties.

Le caractère très diversifié de ces rappeurs africains crée l’engouement. Artistiquement parlant, on trouve de tout dans cette région de l’Afrique : rappeurs bling bling ou panafricanistes, comme le rappeur togolais Elom 20ce, qui, à travers son engagement, exporte sa culture et son dialecte. Quand on se pose à Lomé, Kanaa et Mic Flammez s’illustrent plutôt bien dans le style egotrip quand Eddy Mufasa, à travers un parfait breuvage de blues, jazz et rap, transmet ses émotions dans le titre Guitar Love.

Comment ce rap peut se projeter encore ?

Grâce à internet on peut aujourd’hui profiter des sonorités du rap de l’Ouest partout dans le monde ; et de nombreux Africains de la diaspora écoutent les morceaux du bled. Grâce à la viralité des réseaux sociaux, beaucoup d’artistes peuvent voir leurs morceaux repartagés et bénéficier d’une bonne exposition. Les infrastructures sont naissantes, les labels se multiplient et poussent à l’optimisme en Afrique francophone avec l’installation des majors. Quant à la galaxie des rappeurs afro, ils sont très loin devant avec un Wizkid qui totalise 53 millions de vues sur Youtube pour son Come Closer avec Drake ; c’est tout un symbole pour le rap africain.

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