Stratégies payantes, gestion de l’attente du public, autarcie médiatique… Mais comment PNL bouscule la communication du game ?
Il aura suffi de deux titres inédits en deux mois pour permettre à PNL de sur-occuper à nouveau l’espace médiatique musical, après deux longues années de silence. Communication huilée, stratégie du silence payante, idées novatrices : le groupe est-il simplement meilleur que les autres en comm’? Le reste du paysage rap doit-il s’en inspirer ?
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Modifier l’équilibre de l’équation
Le refus caractéristique de PNL d’accorder la moindre interview a véhiculé une idée fausse, celle que le groupe ne communiquerait que par sa musique, là où les autres rappeurs, auraient besoin de développer un univers visuel, une marque de fabrique, de se romancer en répondant aux questions des journalistes afin de combler le vide artistique. Si PNL ne laisse aucune apparition médiatique venir perturber sa quiétude, c’est aussi parce qu’il préfère rester sur le terrain qu’il maîtrise, avec les éléments qu’il peut contrôler.
Le nombre de médias spécialisés dans l’économie, la finance ou la communication, ayant pris le temps d’analyser les stratégies promotionnelles mises en place par PNL depuis trois ans prouve qu’au-delà de la musique -qui reste infailliblement l’élément central-, le groupe a pris part à une véritable révolution dans le rapport artiste/médias/public en faisant sauter de l’équation l’intermédiaire entre artistes et public. Si le développement des réseaux sociaux depuis une demi-douzaine d’années avait déjà permis aux rappeurs de créer un lien plus direct avec leurs auditeurs, aucun n’avait compris qu’il pouvait être la clé pour s’affranchir définitivement de toute dépendance médiatique. En revanche, si PNL use de son droit de silence dès lors qu’il s’agit d’échanger avec des journalistes, le duo a pris l’habitude de jouer des différents médias comme d’un levier que l’on actionne à distance.
Le duo a pris l’habitude de jouer des différents médias comme d’un levier que l’on actionne à distance
Rareté des apparitions et mystère autour du groupe ont en effet contribué, presque paradoxalement, à décupler l’attention médiatique, et par conséquent la couverture de la moindre actualité d’Ademo et N.O.S. Mais le silence du groupe est de plus en plus accompagné par des opérations de communication d’une efficacité assez nette, l’essentiel étant à chaque fois de savoir prendre le contre-pied d’une opération classique. Il y a quelques semaines, l’application de commande vocale Siri, développée par Apple, répondait ainsi « 91’s de PNL » quand on lui demandait le nom de « la meilleure musique du monde » . Un fait qui pourrait se révéler très anecdotique, d’autant qu’il s’agit de la réponse purement pragmatique d’un programme informatique qui se contente de citer le numéro 1 actuel des classements sur les plateformes de streaming, mais qui s’est transformé en joli coup de comm’ pour le groupe, qui a immédiatement partagé l’info sur ses réseaux avant d’être relayé par la quasi-intégralité des médias rap.
Une bonne idée vaut mieux qu’un gros budget
D’autres opérations, plus élaborées cette fois-ci, avaient également attiré l’attention des professionnels de la communication. Toutes les citer serait inutile, mais on se souvient par exemple des affiches placardées dans le métro parisien, avec le visage de Macha (le fameux antagoniste aux cheveux rouges de la quadrilogie de clips, surnommé Coca-Cola par le public) et un numéro de téléphone : en essayant de le joindre, on tombait alors sur l’instru de Bené, teasant ainsi le prochain titre à être clippé. Surtout, cette opération a permis de collecter les numéros de téléphone des fans du groupe, et de leur envoyer par sms les dates de la tournée du groupe. Ce qui aurait pu sembler intrusif, mais qui n’a posé aucun souci à personne, au contraire. Quoi qu’il en soit, on privilégie une idée un tant soit peu originale et assez simple à mettre en place, plutôt qu’un gros coup de comm’ coûteux.
Le même principe a d’ailleurs été le moteur de la majorité des clips du duo : chercher une destination inédite et clipper autour d’une carcasse d’avion en Islande, dans les bâtiments délabrés de la Scampia, ou au beau milieu du désert en Namibie vaut mieux qu’allouer un budget déraisonnable à un triptyque villa en loc-voiture de luxe en loc-vixen ; et quand PNL se lance dans le storytelling, plutôt que d’engager de véritables acteurs, on mise sur le jeu volontairement très théâtral de son entourage -une recette qui fonctionnait déjà à l’époque de Je vis je visser, et qui s’est adaptée avec réussite et millions de vues sur des formats plus longs.
on privilégie une idée un tant soit peu originale et assez simple à mettre en place, plutôt qu’un gros coup de comm’ coûteux
Et même quand l’investissement est conséquent, comme dans le cas de l’affiche géante aux abords du périph parisien, qui aurait coûté la bagatelle de 140.000 euros, la dépense est parfaitement pondérée : non seulement la moitié de l’Ile de France est mise au courant de la sortie de l’album, mais immédiatement, la photo fait le tour des réseaux sociaux, et surtout des médias rap, y compris ceux à l’audience la plus importante. En somme, il ne s’agit pas que de se payer une affiche au prix d’un petit pavillon : PNL s’est offert une campagne de pub qui aurait pu coûter le triple -et on ne compte pas le gain au niveau de l’image, puisque s’afficher sur 665m² au beau milieu de la capitale sous-titré d’un grandiloquent Dans la Légende est aussi une manière de montrer à quel point le groupe pèse aujourd’hui à l’échelle du rap français.
Est-ce que PNL est en avance, ou est-ce que les autres sont à la traîne ?
Si le travail effectué par PNL avec deux bouts de ficelle sur le plan de la communication est infiniment plus efficace que celui d’une agence de pub qui aurait coûté un rein à chacun des deux frères, il remet en question toute la communication -parfois désastreuse- du rap français depuis de nombreuses années. Peu d’idées neuves, souvent des redites de choses déjà faites, des budgets monstrueux investis sur des featurings avec des artistes américains peu impactants auprès du public français, des attachés de presse préférant aller chercher des plateaux télé aux finalités peu évidentes plutôt que de s’adresser directement à la fan-base de leurs artistes… Évidemment, refuser une émission vue par des millions de personnes, un featuring avec un artiste de renom, ou même un Planète Rap, ressemblait plus à un sacrifice au nom d’obscurs idéaux qu’à une véritable stratégie. Pourtant, force est de constater que refuser ce type de raccourci était le meilleur moyen d’aller plus haut et plus loin que tout ce qui avait été fait jusqu’ici. Mais le rap français en a-t-il retiré une leçon ?
Les modes de communication des rappeurs français ont indéniablement évolué depuis l’arrivée aux sommets de PNL, mais il reste cependant difficile de déterminer quelle part joue l’influence du groupe, et quelle part est à imputer aux autres facteurs que sont le développement et l’expansion de médias rap crédibles, la position toujours plus centrale des réseaux sociaux, et l’évolution des mentalités des rappeurs. Une chose est certaine : ceux-ci se rendent compte que noyer le public sous les apparitions médiatiques peut se révéler contre-productif, et que cibler sa promo en fonction de son image peut s’avérer bien plus efficace.
Cibler sa promo en fonction de son image peut s’avérer efficace
Reste que si certains, comme PNL ou Jul, ont tout intérêt à éviter l’exercice de l’interview, d’autres comme Fianso ou Sadek, savent tirer profit de ce type d’apparition pour gagner en capital-sympathie. Appliquer à la lettre la stratégie PNL ne peut donc s’avérer pertinent qu’avec un certain type de rappeurs, et avec des limites assez nettes. En revanche, si PNL a montré la voie sur un plan, c’est bien celui de la confiance en ses propres moyens. En construisant un succès jamais vu auparavant dans le rap uniquement à la force de ses initiatives, en refusant tout contact avec le reste du rap game, du paysage médiatique, et des majors, le duo essonnien a démontré qu’un rappeur pouvait faire le choix de ne compter que sur lui, et donc de ne dépendre de personne.
Changer de stratégie en cours de route pour mieux anticiper
L’autarcie de PNL rappelle le silence médiatique d’artistes d’autres genres musicaux, comme Mylène Farmer ou Daft Punk, autrement dit des entités qui ont fini par dépasser le simple cadre de la musique pour toucher au statut de véritable mythe. Si l’on suit ces deux exemples de façon plus précise, la réponse à la question « PNL est-il un véritable game-changer ? » tend pourtant vers la négative, étant donné que le choix du silence n’a pas réellement fait d’émules au sein de leurs genres musicaux respectifs. Sur le principe, la mentalité de Mylène Farmer vis-à-vis du reste de la chanson française est d’ailleurs étrangement similaire à la vision que PNL a du reste du rap français : écoeurée par l’hypocrisie du milieu, elle fuit toute cérémonie officielle, refuse tout type de récompense, et refuse de côtoyer de près ou de loin le show-business. En clair, si Mylène était rappeuse, son diktat serait « tes rappeurs c’est tous des tapins, ils se passent tous la pommade », et ses certifications se baladeraient au bras d’un singe au beau milieu des Tarterêts.
Le prochain album de PNL, qui ne devrait a priori plus trop tarder à débarquer, marquera par ailleurs une étape nouvelle dans la carrière du groupe : après avoir sur-occupé l’espace en enchaînant trois projets longs et une vingtaine de clips en deux ans, Ademo et N.O.S ont pris le parti de laisser leur public patienter avant de pouvoir se mettre du contenu neuf sous la dent. En somme, abandonner l’hyperproductivité pour laisser monter l’attente, quitte à exaspérer les impatients. Etant donné comment le retour du groupe a été accueilli peu avant la période estivale, la stratégie était la bonne. Non seulement le moindre emoji posté par l’un des deux membres du groupe pendant l’année écoulée était sur-interprété dans le but de deviner un quelconque indice sur l’éventuelle date de publication, mais il aura suffi d’un message aussi anodin qu’explicite (« ça recommence ») posté sur les réseaux sociaux pour que les vannes s’ouvrent à nouveau.
Si Mylène était rappeuse, son diktat serait « tes rappeurs c’est tous des tapins, ils se passent tous la pommade »
Signe que PNL se sait désormais attendu, et ne peut plus se contenter de surprendre par les mêmes moyens que ces dernières années, le clip de leur comeback, A l’Ammoniaque, représente lui aussi une étape importante dans la carrière du groupe. Que ce soit par la prise de risque artistique, en revenant avec un titre potentiellement décontenançant plutôt qu’avec un morceau plus évident, moins périlleux, mais forcément moins surprenant ; mais aussi et surtout par la qualité du clip et de sa réalisation, qui reflète l’ambition démesurée du groupe. PNL avait prévenu depuis le début : ce sera le monde ou rien.