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Mais où est Rohff ? [DOSSIER]

Mais où est Rohff ? [DOSSIER]

A l’occasion du 14ème anniversaire de « La Fierté des nôtres », Booska-P revient sur le parcours du rappeur et son retour attendu avec « Surnaturel ».

Après avoir été sur le trône du rap français pendant un temps, Rohff a perdu en vitesse il y a quelques années. Quelle suite pour sa carrière ?

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L’arlésienne « Surnaturel »

Deux ans et demi après son dernier album, Rohff n’a toujours pas annoncé de date de sortie pour Surnaturel. Le vitriot maintient tout de même un minimum d’actualité avec des publications plus ou moins régulières de titres inédits, dont on ne sait jamais vraiment s’il s’agit d’extraits d’un prochain projet ou de friandises offertes à son public pour patienter en attendant des informations plus concrètes sur la suite.

A l’heure actuelle, il est assez difficile de comprendre comment Rohff compte se positionner, d’autant que sa cote auprès du public reste insaisissable : soutenu par ses fans de la première heure et en particulier par ceux qui restent traumatisés par ses classiques, il peine à convaincre les plus jeunes générations, et reste défavorisé par sa guerre médiatique avec Booba, qui le coupe de la clientèle la plus fidélisée de ce dernier.

Annoncé dans un premier temps pour le courant de l’année 2016, dans la foulée de la sortie de Rohff Game en décembre 2015, l’album Surnaturel est devenu une véritable arlésienne. Que ce soit par pur souci de perfectionnisme avec l’ambition de fournir un classique, ou par manque d’assurance, suite aux réactions parfois mitigées du public aux extraits diffusés, les raisons du retard de cet hypothétique neuvième album de Rohff restent floues.

Tout aussi incertain, le statut de Surnaturel au sein de la discographie du rappeur pose question : un temps annoncé comme le dernier projet de sa carrière, celui qui viendrait conclure son parcours en apothéose, il semble que Rohff soit revenu sur sa décision, et projette d’arrêter le rap « vers l’âge d’Akhenaton », ce qui ne veut finalement pas dire grand chose, étant donné que le marseillais n’a toujours pas arrêté et n’arrêtera probablement jamais.

Push it to the limit

Faire le point sur la carrière de Rohff aujourd’hui revient donc à faire face à une série de noeuds pas franchement simples à démêler. Tout était beaucoup plus simple il y a une dizaine d’années, quand ce que touchait le meilleur rappeur français d’origine comorienne se transformait en or. Absolument intouchable pendant toute la décennie 2000, il réussit à l’époque un grand chelem incroyable :

  • son premier album (Le Code de l’honneur, 1999) est relativement confidentiel au moment de sa sortie, mais devient un classique du rap de rue qui traverse les époques ;
  • son deuxième album (La vie avant la mort, 2001) obtient un succès commercial rarement vu dans le rap français, avec notamment les 800 000 ventes du single Qui est l’exemple ? ;
  • son troisième album (La Fierté des Nôtres, 2004) cumule succès critique et succès commercial, et devient l’un des disques les plus importants de l’histoire du rap français, aux côtés de Temps Mort ou L’École du Micro d’Argent ;
  • son quatrième album (Au delà de mes limites, 2005), surpasse le précédent sur le plan des ventes, et confirme sur le plan critique
  • son cinquième album (Le Code de l’horreur, 2008), vient boucler la boucle avec le fameux record du rap pur et dur : 58 400 ventes en première semaine. Mieux, son rival historique, Booba, réalise l’un des plus mauvais démarrages de sa carrière quelques semaine plus tôt avec l’album 0.9 et ses 17 540 ventes en première semaine. Si les hostilités entre les deux rappeurs ne sont pas encore officiellement ouvertes, nul doute que cette victoire a alors dû représenter beaucoup pour Rohff.

Pour ne rien gâcher, pendant cette période, ses mixtapes comptent parmi les meilleures du rap français, ses concerts entrent dans la légende, et ses expressions sont reprises partout et entrent dans le langage populaire. Cerise sur le gâteau, il côtoie même virtuellement le personnage de Tony Montana dans le jeu vidéo Scarface, ce qui, pour un fan invétéré du film comme lui, représente probablement un life achievement absolu.

La carrière de Rohff à cette période ressemble clairement à la fameuse scène « Push It To The Limit » du film : l’argent coule tellement à flot qu’il faut investir dans une compteuse de billets automatique, toutes les nouvelles initiatives fonctionnent, les chemises blanches sont bien repassées, et globalement, tout ce qui gravite autour d’Housni fonctionne à merveille – pour preuve, même quand il pète à moitié un plomb, la vidéo devient mythique.

La redescente

Malheureusement, tout comme dans Scarface, l’ascension illimitée de Rohff va être suivie d’une perte progressive de vitesse et d’une série de couilles qui vont enrayer la machine. On ne va pas refaire toute l’histoire, mais globalement, le rappeur perd des points sur le plan artistique, avec des prises de risques (Dans ma Werss, Animal) qui ne payent pas et ternissent son image, d’autant qu’après un sixième album (La Cuenta, 2010) décevant, Rohff laisse passer trois longues années avant de revenir, laissant le public sur une mauvaise impression.

Pendant la même période, il enchaîne les erreurs de communication, comme attribuer l’accueil mitigé de La Cuenta aux « chutes de neige » ou répondre à des dizaines de trolls sur twitter en les insultant avec vigueur et conviction. Dans ce contexte, sa position clairement dominante au sommet de la pyramide du rap game s’effrite lentement mais sûrement, d’autant que les éléments jouent en sa défaveur, comme le leak de l’album PDRG plus de trois semaines avant sa sortie, en 2011.

La sortie du projet Rohff Game le fameux 4 décembre 2015 cristallise plutôt bien la situation du rappeur après cinq années mitigées : annoncé comme une mixtape, Rohff annonce à quelques semaines de la sortie qu’il s’agira finalement d’un album, étant donné sa qualité – ce qui ajoute une pression absolument pas nécessaire sur ses épaules – ; puis Rohff révèle que Booba prévoit de sortir un album le même jour que lui, prouvant qu’il regarde bien ce que son rival fait, ce qui n’est jamais bon ; finalement, le Rohff Game est excellemment accueilli par la critique, mais réalise des ventes bien moins importantes que celles de Jul et Booba, ses deux concurrents du jour dans les bacs. Comme souvent, on en revient au même constat : Rohff est parfait en studio, mais devrait laisser sa communication à d’autres, et surtout, laisser le mot de passe de ses réseaux sociaux à une personne de confiance.

Depuis, difficile de voir clair dans sa stratégie : malgré de nombreux titres inédits et clips diffusés depuis trois ans, son fidèle public s’impatiente ; en face, ses détracteurs ont tendance à descendre chacun de ses nouveaux titres sans grande objectivité, prouvant qu’il s’agit désormais plus une question d’image que de musique. Artistiquement, Rohff alterne le très bon et le moins bon, mais perd à chaque fois des points à cause de sa communication hasardeuse : Broly ou Detrôné ont par exemple été teasés pendant des semaines comme s’il s’agissait des titres les plus marquants de l’année, pour finalement laisser les auditeurs sur leur faim ; au contraire, des morceaux efficaces comme Dans le Vrai n’ont quasiment pas été exploités, et même pas mis en images.

Et maintenant ?

Le flou qui entoure actuellement Rohff ne semble pas pouvoir se dissiper avant la sortie de l’album Surnaturel, qui, rappelons-le une fois de plus, n’a ni date de sortie, ni tracklist. Parasité dans son activité artistique par bon nombre d’éléments extra-musicaux, le rappeur est bel et bien capable de nous pondre un grand album, à condition de savoir se recentrer, maintenir une direction cohérente et faire les bons choix.

A l’heure où les vétérans sont moins préoccupés par le rap que par le business (Booba), l’ouverture à la variété (Soprano), le poker (Kool Shen) ou les revivals nostalgiques (le Secteur Ä, les artistes de « l’Âge d’Or », NTM), Rohff fait partie des derniers garants d’un rap de rue sachant conjuguer écriture et flow, ouverture grand public et violence crue, egotrips et longues introspections.

Le kickage pur et dur étant enfin revenu au goût du jour par l’intermédiaire de Fianso, Ninho, YL et d’autres, la voie est ouverte pour un retour au premier plan d’un rappeur qui, s’il a pu s’égarer sur certains plans, n’a jamais perdu ses capacités à plier une prod dans tous les sens. Après avoir trôné sur le rap français pendant des années, il serait temps que le roi déchu revienne foutre la merde dans la cour.

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