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Les covers d’albums : supports marketing ou créations artistiques ?

Les covers d’albums : supports marketing ou créations artistiques ?

Ces dernières années, les pochettes d’Or Noir de Kaaris ou de QLF de PNL ont servi de fondements à des carrières au sommet du rap français…

Le visuel est un élément fondamental dans la démarche d’un rappeur, une sorte d’extension de l’univers du rappeur dans un domaine extra musical. Si aujourd’hui la démocratisation des moyens de production audiovisuels permet à n’importe quel rappeur de clipper plusieurs extraits par album, ça n’a pas toujours été le cas et pendant longtemps l’aspect visuel de l’album se résumait à une pochette et un livret. Le passage au numérique a complètement changé la manière de percevoir la pochette, et l’usage du livret est tombé en désuétude…

Le support visuel de l’univers de l’artiste

Fondamentalement, la pochette est assimilée à l’identité de l’album, elle va définir une grande partie de l’impression de l’auditeur. C’est Booba qui assimile le mieux cet aspect de la pochette, d’ailleurs à l’occasion des rééditions de son premier album solo Temps Mort il dévoile en tout trois pochettes. Désireux d’assimiler les codes du rap américain, le rappeur de Boulogne entreprend de revisiter ses grands classiques. Ainsi pour la pochette de Ouest Side, il reprend à l’instar de By All Means Necessary de KRS One la fameuse photographie de Malcolm X à l’affût derrière une fenêtre. C’est aussi une manière pour lui de revendiquer son héritage africain et de rendre hommage au mouvement d’émancipation des afro-américains, on se souvient qu’il s’est également fait tatouer le poing du mouvement Black Power sur le cou…

Plus encore, la pochette de 0.9 s’inspire de manière évidente de celle du grand classique de 50 Cent Get Rich Or Die Tryin’. La pochette de 50 Cent est incontestablement l’une des plus marquantes de l’histoire du rap américain, et a largement contribué au succès de l’album.

Il y a tellement de rappeurs que pour faire ta place et sortir du lot, l’image est devenue ultra importante.

Plus récemment, la pochette de R.A.S de Kalash Criminel réalisée par Fifou montre qu’un artwork correctement réalisé peut ajouter de la profondeur à un projet qui pouvait paraître inconsistant au vu des extraits. Koria, graphiste à l’oeuvre notamment sur les pochettes de Kaos de Kalash ou Grand Cru de Deen Burbigo, ajoute à ce propos : « A l’époque, il y avait un ou deux projets qui sortaient par mois, du coup je ne sais pas si l’image était aussi importante. Ca n’empêche pas qu’il y avait des pochettes de fou, bien évidemment, mais t’as des pochettes qui sont quand même aussi improbables Aujourd’hui, l’image a pris le pas sur la musique… Il y a tellement de rappeurs que pour faire ta place et sortir du lot, l’image est devenue ultra importante. »

Un outil marketing pour générer des réactions

L’apparition des réseaux sociaux et la révolution audiovisuelle a cependant largement changé ce comportement. Aujourd’hui, la pochette tend de plus en plus à devenir un simple outil de promotion au risque de ne pas impacter l’auditeur.

Au-delà de nos frontières, l’exemple le plus parlant de cet usage est l’album de Drake If You’re Reading This It’s Too Late. Aucun extrait n’est révélé avant la sortie de l’album, seule la pochette de l’album assez énigmatique est dévoilée. Résultat : un engouement du public autour de l’annonce mystérieuse, et au final quasiment 500 000 ventes physiques aux Etats-Unis et pendant la seule première semaine.

En France, c’est Gradur qui organise la sortie de son deuxième album studio #WhereislalbumdeGradur comme un événement participatif sur les réseaux sociaux ancré autour du hashtag #WhereIsLAlbumDeGradur qu’il reprend au travers de multiples posts et vidéos. A la manière de Booba qui s’est approprié certains codes visuels du rap américain, la pochette de l’album réalisée par Avejo reprend sur un thème humoristique celle du classique de Notorious B.I.G Ready To Die. La pochette est utilisée pour faire réagir l’auditeur, d’autant qu’elle est dévoilée avant la sortie de l’album et donc est intégrée à la campagne de communication.

C’est le premier lien qu’il va y avoir entre l’auditeur et l’artiste, au-delà de tous les clips

Pour Koria aussi, la pochette « c’est le premier lien qu’il va y avoir entre l’auditeur et l’artiste, au-delà de tous les clips. Les clips aujourd’hui, c’est très éphémère, tu peux sortir un clip en mettant 15 000 ou 20 000 euros dedans, au bout d’une semaine je vais pas dire qu’il est inexistant mais s’il a pas fait un peu de buzz, il est vite dans les bas-fonds de YouTube, alors que la pochette va rester sur toutes les plateformes pendant X années. »

Plus complexe, le cas de CDG de Benash, car il s’agit ici d’un élément de la stratégie consistant à complexifier le personnage. Révélé par son rôle central dans le 40 000 Gang (ex-S.D.H.S Family), Benash doit se départir de son image de trappeur assez basique pour acquérir une certaine couleur musicale et un univers plus fourni. La pochette de son premier album repose sur une conception sobre et esthétique, des jeux de textures et de matières ; il s’agit d’intriguer l’auditeur et de le convaincre de donner une chance au projet, et c’est un pari réussi qui lui permet de réaliser un score très correct, notamment en streaming dès la première semaine d’exploitation de son album.

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La recette d’une pochette d’album réussie

Koria préfère se fier à l’accueil du public, « Je peux avoir des coups de cœur sur des pochettes, qui ne seront pas forcément comprises. Celle d’Anarchie, je la trouve incroyable, je dirai même que je la trouve encore plus forte que Deo Favente, mais je sais que les gens ne l’ont pas pris comme un truc de fou. Deo Favente, j’ai jamais eu autant de retours positifs. Je suis conscient que c’est une très belle cover, mais d’un point de vue photographique je préfère celle d’Anarchie. »

Il s’agit de trouver un juste équilibre entre l’univers de l’artiste et des références extérieures, il s’agit de faire appel à l’esprit de l’auditeur et le pousser à faire un travail de réflexion sur l’identité du projet. Depuis son retour sur Règlement de comptes, Alonzo s’est notamment montré particulièrement attentif à cet aspect. Les pochettes de ce projet et d’Avenue Saint-Antoine jouent à la fois sur la sobriété et l’organisation de l’image, mais aussi sur un côté mystérieux et une incompréhension au premier abord qui pousse l’auditeur à s’interroger. Dans tous les cas, il s’agit de balancer entre le choc et la réflexion, et donc de trouver un juste milieu ente le spectaculaire et les références.

Tout le monde est tellement dans le rush que tu dois sortir une image et un concept

Il s’agit également de s’adapter aux contraintes extérieures, ce que l’auditeur n’a pas forcément à l’esprit quand il découvre le projet fini. « Il y a une façon de fonctionner qui s’installe de plus en plus, tout le monde est dans le speed. Je prends l’exemple du dernier SCH, je pense que j’ai eu une semaine pour tout faire. Entre le moment où j’ai eu le titre de l’album et le moment où je devais tout rendre, c’est-à-dire la pochette, le livret, les photos retouchées, j’ai eu 10 jours. Quand t’as 10 jours, malheureusement t’es pas dans un soucis de faire une écoute studio, se voir et en parler. C’est impossible, tout le monde est tellement dans le rush que tu dois sortir une image et un concept. » Prendre en compte les demandes de l’artiste, intégrer autant que possible son univers et l’identité du projet, mais aussi s’adapter aux demandes du public et aux usages de la pochette : les graphistes doivent prendre en compte ces aspects parfois contradictoires, et en dégager un visuel suffisamment marquant pour mettre en valeur le projet aux yeux du public, le faire ressortir parmi la multitudes de projets qui ponctuent chaque mois en rap français.

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