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Le Congo dans le rap français [DOSSIER]

Le Congo dans le rap français [DOSSIER]

Quelle place pour le Congo dans le rap francophone ?

Cela fait maintenant plusieurs années que certains rappeurs d’origine congolaise ne cessent d’affirmer en interview que les Congolais ont pris le contrôle du rap français, voire du rap francophone ; parce que les Congolais d’origine, ce n’est pas ce qui manque en Belgique. Derrière le côté un peu ironique et arrogant de ce genre d’affirmation (dans le sens où si vous posez la question à un Sénégalais ou un Malien, il est probable qu’il dise la même chose de son propre pays, c’est le jeu), il y a bel et bien un très grand nombre d’artistes de premier rang qui sont effectivement originaires de ce pays d’Afrique Centrale. Pour autant, peut-on en dégager des spécificités musicales que l’on ne trouve pas chez les autres ? On va tenter de se pencher (un peu) sérieusement sur le sujet.

Nota Bene : pas de discrimination, on parle ici de la République du Congo et de la République Démocratique du Congo, pas de jaloux les enfants.

Ambianceurs

Un des plus gros clichés sur le Congo, c’est tout ce qui est lié à la S.A.P.E (Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes), cette mode vestimentaire particulièrement extravagante qui amuse certains et consternent d’autres. Si l’on pouvait penser que cela se perdrait avec les vagues d’immigration successives, il n’en est rien. Les soirées afro n’ont jamais cessé d’exister, et avec elles toutes les habitudes ce qui entourent ce genre d’événement.

Dernièrement, même le jeune Leto disait sur le ton de la blague pour justifier son retard face aux caméras de Booska-P « je suis congolais, ma mère me laisse pas sortir de chez moi si je suis mal sapé ! » L’exemple le plus criant est le tube Sapés comme jamais, où concrètement Maître Gims et Niska ont en quelque sorte réactualisé la sapologie, entre auto dérision et réaffirmation de la chose.

Les anciens ne s’y sont pas trompés, dans l’une de ses dernières interviews en France, le regretté Papa Wemba commentait d’ailleurs le clip en ces termes : « le fait que ce soit deux jeunes d’aujourd’hui qui fassent ça, ça montre que la sapologie ne disparaîtra jamais du Congo. Le jour de la fête nationale, on a accepté que des sapeurs défilent aussi ! C’est accepté et c’est voulu. C’est très bien que des jeunes poursuivent ça en France. » Bref, la filiation était reconnue haut et fort, avec la bénédiction du patron par-dessus le marché.

Quant au côté « ambianceur » en tant que tel, avec l’évolution du rap français ces temps-ci et la place grandissante des hits pour les boîtes, la demande est forte et beaucoup ont pu s’illustrer dans ce registre. Si l’on se tourne vers les tubes de rap dansants de ces dernières années, il est difficile de nier la quasi-omniprésence des Congolais : Naza, Keblack, Niska, Gradur et évidemment Maître Gims.

Même avant eux, un rappeur plus confidentiel comme Poison s’était totalement réorienté, passant du rap hardcore à des sonorités plus dansantes et inspirées de ses racines, façon ndombolo, et multiplié les featurings avec des artistes afro, avant de faire ce qu’il appelle de la « trap zaïroise ».

La revendication des origines

Bien que les Congolais ne soient pas des Algériens (dans le sens où ils n’ont pas ce super-pouvoir qui consiste à faire apparaître des drapeaux de leur pays partout sans qu’on sache bien comment), ils restent bien entendu fiers de leurs origines. Bien avant que ce soit la mode de faire des albums-concepts portés sur une nationalité ou une origine ethnique particulière, et des années avant l’explosion de l’afro-trap, souvenez-vous, il y avait déjà Bisso Na Bisso. Dès la fin des années 90, le collectif réunit divers rappeurs d’origine congolaise gravitant autour du Secteur Ä (respectivement : Passi, Ärsenik, M’Passi, Les 2 Bal, Mystik et Ben-J) et c’est en 1999 que leur premier album voit le jour.

Concrètement, presque tous les thèmes tournent autour du retour aux racines et surtout, les instrus changent de ce que l’on entend dans le rap français à l’époque puisque les samples sont pratiquement tous d’inspiration africaine directe. Bref, le drapeau était planté sur la carte du rap francophone. Autre donnée notable pour ceux qui s’en rappellent : le projet avait beau être basé sur le pays d’origine des artistes, cela ne les a pas empêchés de connaître un succès qui a largement dépassé la communauté.

L’idée est venue de Passi, et de la même façon, il suffit de se remémorer certains de ses couplets de l’époque Ministère A.M.E.R pour comprendre que c’était finalement une suite logique : contrairement à d’autres groupes de leur époque, le Ministère n’hésitait pas à insister sur ce qu’on appellerait peut-être aujourd’hui le côté « bledard » alors que leurs collègues revendiquaient une imagerie plus américaine. Passi de son côté parlait déjà boubou, Koffi Olomidé, etc. Certains passages sur Le Monde est à moi allaient d’ailleurs dans le même sens.

Un lien plus assumé avec le pays

Conséquence directe de ce que l’on évoquait ci-dessus, la seconde génération de rappeurs congolais n’hésite plus à utiliser la langue du pays. Alors bien sûr, ils en usent de manière mesurée pour ne pas non plus perdre la portion de leur public qui ne comprend pas du tout le Lingala. Mais entre certains couplets de Maître Gims, Gradur, Youssoupha ou encore Kalash Criminel, on commence à avoir de plus en plus d’exemples de rappeurs totalement décomplexés qui mélangent à leur guise le français et le lingala, ce qui offre souvent des combinaisons de rimes moins prévisibles qu’ailleurs.

De la même façon, niveau collaboration artistique et featurings, les rappeurs n’hésitent pas à se mélanger avec des chanteurs du pays, de Werrason à Fally Ipupa. Interrogé sur cette effervescence autour des rappeurs originaires de son pays natal, celui-ci disait d’ailleurs que tout cela lui semblait assez logique dans la mesure où, si en Afrique la musique congolaise est très populaire et rassembleuse, il était finalement tout à fait normal que ses « enfants », issus de l’immigration française, aient gardé cette fibre artistique. Cela peut sans doute sembler purement chauvin mais il faut se rappeler que parmi les rappeurs congolais, nombreux sont ceux qui ont un parent déjà lui-même musicien.

Ainsi, Fally Ipupa avait révélé que le père de Damso était dans la musique, Niska également avait ironisé sur le fait que son paternel avait tenté une carrière et que finalement c’était son fils qui avait percé ; Tito Prince est le fils JP Tshiamala, (producteur de Koffi Olomidé notamment) ; Shay est la petite-fille du défunt Tabu Ley Rochereau, Youssoupha est quant à lui le fils de Tabu Ley… On peut presque parler d’affaire de famille, comme disait Ärsenik.

La guerre

Ce n’est évidemment pas la plus joyeuse des particularités des rappeurs originaires de là-bas, mais c’est malheureusement assez présent, même chez les plus jeunes. Pratiquement tous ceux qui ont encore des souvenirs de leur enfance au pays évoquent des moments extrêmement difficiles, même s’ils peuvent choisir de ne pas y consacrer de morceaux entiers. Ainsi, Damso a directement vécu la guerre civile, les affrontements et les pillages ; être témoin de tout ça durant son enfance, ça marque pas mal et lorsque le rappeur s’en souvient entre deux rimes, c’est glaçant : « les tirs de kalash m’empêchaient de rêver », « en temps de guerre y’a aucune étreinte, tue tout l’monde, même les femmes enceintes »

Siboy de son côté est plus énigmatique et en parle de manière moins frontale (« mon bled crève, parce que y’a des clochards qui le tuent » ; « à cause de la guerre je n’ai pas eu de maternelle » ; « j’ai pleuré des larmes de sang quand j’ai vu mon père en taule »), mais le traumatisme reste le même. Ainsi le cagoulé du 92i avait déclaré en interview : « à cause de la guerre au bled, on a dû fuir le pays, arrivés en France, le temps d’avoir les papiers, on a dormi dehors, fait les hôtels, j’ai pas arrêté de déménager, le temps que notre situation soit stable. Pour mon père, en fait il était militaire, si je me rappelle bien, c’était un conflit de deux ethnies, et un camp a pécho mon père. Et obligation de se battre vu qu’il était à l’armée, donc ça l’a mis dedans aussi. C’est très brouillé dans ma tête parce que ça remonte, mais ce dont je me souviens bien c’est qu’il était en taule et que c’était dur. Vu que je m’en rappelle encore de plein de trucs précis, je pense que ça m’a marqué au fond. »

D’autres comme Kalash Criminel aiment souligner la situation catastrophique de leur bled au détour de quelques rimes, dont notamment les très directs « je viens de là où les enfants de dix ans travaillent dans les mines », « les rebelles au Nord Kivu, qui les paye, qui les finance ? » et bien sûr « je sais que les médias font semblant de pas savoir qu’au Congo il se passe un génocide ».

Même sur le tout premier album de Bisso Na Bisso, qui se voulait pourtant avant tout majoritairement festif, une chanson entière, Après la guerre, est consacrée au thème bien plus triste qu’est la description des conséquences d’un conflit.

La noirceur

Cela peut paraître assez contradictoire avec le côté « ambianceur » qu’on leur prête mais pourtant les faits sont là : les rappeurs congolais nous ont offert des morceaux voire des albums entiers extrêmement sombres, du choix des instrus en passant par les paroles. Et cela à travers plusieurs générations différentes. Le premier qui a traumatisé un grand nombre d’auditeurs est sans aucun doute Lino d’Ärsenik, qui outre sa technique et sa voix reconnaissable, se démarquait par ses punchlines assassines toutes les deux mesures ; quoi de plus normal pour quelqu’un dont le groupe s’est fait connaître avec un morceau appelé L’Enfer remonte à la surface ?

Escobar Macson a, à ses débuts, été catégorisé dans l’horrorcore, sous-genre du rap hardcore qui fait la part belle aux descriptions macabres et aux références tirées de films d’horreur, tant il aimait ponctuer ses morceaux d’extraits de films comme La Crypte, L’Enfer des zombies, Predator II ou encore Massacre à la tronçonneuse le commencement. Vient ensuite également Despo Rutti, qui outre le côté polémique, a toujours maintenu une position ferme sur le type de rap qu’il préférait pratiquer.

Quant à la génération la plus récente, on compte quand même des gens comme Siboy, Damso et Kalash Criminel : même s’ils ont chacun une palette de styles de morceaux assez large, leur domaine de prédilection reste le très, très sale. Et ce n’est pas pour nous déplaire.

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