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La fine frontière entre rap et parodie [DOSSIER]

La fine frontière entre rap et parodie [DOSSIER]

De Fatal Bazooka à Mister V, le rap français a une longue tradition de mélanges entre rap et comédie…

Rap et humour font souvent bon ménage, comme nous le prouvent les Beastie Boys au début des années 1981, mais surtout le duo de DJ Jazzy Jeff et Will Smith (The Fresh Prince) à partir de 1986. Ces deux groupes vont initier une véritable tradition, celle du comedy rap: un genre aux frontières mal définies, mais très porteur commercialement! Ce rapport à l’humour, s’il est assez décomplexé aux Etats-Unis, a toujours reçu un accueil plus froid en France. Pourtant, certaines figures du comedy rap hexagonal ont marqué leur époque, et peut être même influencé involontairement certains rappeurs

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La genèse du rap comique en France dans les années 1990

Certains humoristes ont pu imiter avec plus ou moins de succès ce genre qui se frayait peu à peu son chemin dans les oreilles des français… Cependant, les Inconnus sont les premiers à avoir adopté un format musical à proprement parler, c’est-à-dire des albums portés par des clips. En 1991 et 1992, le groupe sort deux opus intitulés Bouleversifiant! et Les Etonnifiants, avec des singles comme Rap Tout et Auteuil Neuilly Passy. Les Inconnus s’intègrent parfaitement aux codes du comedy rap à l’américaine, à savoir qu’il ne s’agit pas d’une parodie du rap, mais de l’utilisation des codes du rap avec une portée comique et un message qui lui est tout à fait autre (comme la dénonciation du système fiscal dans Rap Tout). Seule exception, Auteuil Neuilly Passy crée bien une opposition comique entre les codes du rap et les stéréotypes de la bourgeoisie parisienne. Un peu plus tard dans les années 1990, le groupe Svinkels fait ses débuts. Tout en se considérant comme un groupe de rap, les membres de Svinkels distillent dans leurs sons une grosse dose d’humour. On retrouvera cette caractéristique chez d’autres groupes de rap alternatif français, qui auront l’occasion de se côtoyer au sein du collectif Qhuit. Malgré des textes à teneur souvent très humoristique, il n’y aura jamais vraiment d’ambiguïté sur le statut de ces rappeurs.

TTC, du « rap alternatif » ou du comedy rap?

Le groupe TTC se forme en 1999, il est composé de Tido berman et Teki Latex, qui avaient déjà constitué le duo Baldazz trois ans auparavant, et de Cuizinier. Au travers d’un mélange de références extrêmement fournies et d’une musicalité innovante, les trois rappeurs vont connaître un engouement perceptible dans la première moitié des années 2000. Comme beaucoup de rappeurs qui se détachaient des poncifs de l’époque, TTC est catalogué comme un groupe de hip-hop alternatif. L’auteur du documentaire Un jour peut-être, Romain Quirot, confie aux Inrocks qu’à l’époque, il suffit de ne pas parler de rue ou d’avoir des beats originaux pour être ignoré par les labels. L’album clef de TTC, c’est Bâtards Sensibles, un projet précurseur du rap-électro qui aborde des thèmes avec une vulgarité qui à l’époque choque une partie du public. Cela n’empêche pas Bâtards Sensibles d’être nommé parmi les trois albums rap, hip-hop et R’n’B de l’année lors de la 20ème cérémonie des Victoires de la musique, aux côtés de Rohff et Passi ! Du fait du caractère décalé de morceaux comme Girlfriend, TTC sera parfois assimilé à un groupe « comique » par une partie du grand public. Pourtant, TTC est avant tout un trio de précurseurs, qui anticipent avant 2005 le virage du rap-électro qui sera en France de courte durée. Deux ans plus tard, TTC négocie un autre virage, celui du pop-rap, sur l’album 3615 TTC aux sonorités encore très actuelles.

Fatal Bazooka, le succès phénoménal d’une parodie

Fatal Bazooka est un cas très particulier, celui d’un personnage fictif créé par l’humoriste Michaël Youn qui va sortir des albums à son nom, et se verra par la suite dédier un film. Pour faire le pont avec l’ancienne génération, le premier hit de Fatal Fous ta cagoule est écrit par Gérard Baste, membre du groupe Svinkel. Il connaît un succès considérable, notamment auprès d’un public assez jeune à l’époque. Fatal Bazooka est un personnage parodique au sens premier du terme, qui reprend non-seulement les codes et clichés du rap pour les tourner en dérision, mais aussi des morceaux à succès comme Confessions nocturnes de Diam’s et Vitaa ou plus tard I gotta feeling des Black Eyed Peas. Ce qui crée la polémique chez Fatal Bazooka, c’est le succès commercial phénoménal qu’il rencontre, ainsi son premier album T’as vu est certifié disque de platine après 7 mois d’exploitation et s’écoule à des centaines de milliers d’exemplaires. Quand un personnage de fiction vend plus que des rappeurs, est nominé pour deux récompenses aux NRJ Music Awards (il reçoit le prix clip de l’année 2008) et deux autres aux Victoires de la musique, on s’interroge sur la limite entre la comédie et la musique… D’autant plus que beaucoup de rappeurs sont dans un sens, des personnages de fiction.

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Kamini, à cheval entre dérision et introspection

Kamini fait son apparition en même temps que son plus gros succès, Malry-Gomont, du nom d’une commune de l’Aisne dans laquelle le rappeur et sa famille ont résidé. Le morceau, qui décrit le quotidien de la seule famille de noirs d’un village de campagne, rencontre un franc succès commercial puisqu’il se classe premier en France (plus de 300 000 ventes), deuxième en Belgique et quatrième en Europe. La même année, il remporte le prix du clip de l’année aux Victoires de la musique. Par la suite, Kamini va sortir J’suis blanc, un morceau décalé dans lequel le rappeur noir se réveille blanc et constate les changements de son mode de vie. Le premier album de Kamini, Psychostar World, sera certifié disque d’or après un mois d’exploitation. Deux ans plus tard, Kamini va sortir Extraterrien, un deuxième album qui connaîtra un succès moindre. En 2016, Kamini affirme travailler sur un nouvel album. Il figure à ce titre parmi les premiers rappeurs français à effectuer une collecte de fonds en crowdfunding pour financer son projet. Cet opus n’a pour le moment pas encore vu le jour. Il participera aussi à la réalisation de Bienvenue à Marly-Gomont, un film humoristique sur l’arrivée de sa famille en France. Kamini a ceci de particulier qu’il se définit comme un artiste avant tout, avec des morceaux qui malgré leur aspect comique ont souvent un côté introspectif, voire dénonciateur…

Dogg Soso et PZK, un succès de courte durée

Le groupe PZK fait ses premières armes sur MySpace qui connaît encore son âge d’or, et sur YouTube qui en est encore aux débuts de son ascension en flèche. Composé de cinq jeunes, il est vite repéré par Warner et sort son premier album PZK, porté par le single Les filles adorent. L’image du groupe est alors celle d’un boys band aux consonnnces comiques, mais bientôt les membres sauront en jouer, par exemple en sortant Ce matin sera une pure soirée en compagnie de Dogg Soso, Big Ali et Fatal Bazooka, l’un des premiers gros succès du YouTube francophone. Il va cumuler plusieurs dizaines de millions de vues, un an à peine après l’obtention du disque d’or pour le premier album de PZK. Les rappeurs s’entourent d’une petite galaxie de « phénomènes » du même acabit, comme Dogg Soso qui avait généré un petit buzz sur une vidéo où il appelait une pizzeria au téléphone en rappant sa commande. Le bonhomme va profiter de l’engouement provoqué par le titre Mauvais Eleve pour sortir à son tour un projet intitulé Crise d’ado. Les membres de PZK tente un retour avec l’album Loi de la jungle en 2012, mais le succès n’est plus au rendez-vous… Deux ans plus tard, ils lancent une série de vidéos intitulée Mais où sont passés les PZK?, dans laquelle on retrouvera une autre figure du comedy rap français, Swagg Man.

Swagg Man, le phénomène des réseaux sociaux

Comme Kamini à son époque, Swagg Man va se faire connaître en France comme un phénomène d’Internet et plus précisément des réseaux sociaux. Un phénomène qui naît sur YouTube, le 29 août 2009. A la différence de Kamini, Swagg Man assume et joue de son côté viral et comique. Il fait une première apparition sur NRJ 12, dans l’émission La nuit nous appartient présentée par Mustapha El Atrassi. En 2012, il commence la série de vidéos Swagg Man Actuality censée montrer sa vie au quotidien, de quoi constituer un solide audimat. Toujours autour de 2012, Swagg Man enrichit son univers esthétique : amélioration du format vidéo, vêtements qui claquent… En 2014, c’est le choc quand il dévoile les clips de Black Card, Billey, Savent-ils et J’ai pas le temps. Le « rappeur » rencontre un énorme succès, quantifiable grâce aux millions de vues qu’il cumule sur sa chaîne YouTube et la reprise massive par une population jeune de ses expressions fétiches. Très vite, l’engouement autour du personnage donne lieu à une sorte d’acceptation de son statut d’artiste par une partie du public, d’autant plus qu’il affirmera que certains de ses sons étaient ghostwrités par La Fouine… Suite à une pause inexplicable qui fera redescendre le buzz, Swagg Man finira par sortir son projet MST, qui ne dépassera pas les 500 ventes en première semaine.

Lorenzo, vers un retour des « années Fatal »?

Lorenzo, ou Jérémie Serrandour de son vrai nom, fait ses premiers pas au sein de la section Cinéma-Audiovisuel du lycée Bréquigny à Rennes où il côtoie les membres du groupe Columbine. A la différence de Columbine qui se définit comme un groupe de rap à part entière même si certains des sons du groupe ont un aspect drôle ou déjanté, Jérémie se fait connaître sur Facebook puis YouTube au travers de mini-sketchs sous le nom de Larry Garcia. Un peu plus tard, il crée le personnage de Lorenzo, apparemment inspiré entre autres par Cokeman, personnage de la web-série En passant pécho joué par l’acteur Nassim Si Ahmed. Ce n’est que tardivement que Lorenzo se met à rapper, son personnage décalé et sa voix pincée lui valent un succès de plus en plus grand sur internet. Comme Swagg Man, Lorenzo implante ses expressions qui sont reprises par des milliers de personnes. Son premier clip sur YouTube, le Freestyle Du Sale, dépasse aujourd’hui les 40 millions de vues. Le rappeur sort ensuite la mixtape Empereur du sale gratuitement sur YouTube et Haute Culture, où elle reste en tête des téléchargements pendant des mois. Il fait aussi la polémique en vendant un exemplaire unique de la mixtape sur eBay, qui atteint un prix démesuré. On retrouve chez Lorenzo des caractéristiques de plusieurs personnalités citées plus tôt, mais sa maîtrise des canaux de communication lui confère une certaine légitimité que ces derniers n’avaient pas cherché ou pas réussi à acquérir.

Mister V, un positionnement jusqu’alors inédit

Mister V a une trajectoire à l’inverse de celle des rappeurs comiques cités plus haut. Originaire de la région grenobloise, il fait ses premiers pas sur YouTube en 2008 et se lance très tôt dans la parodie musicale, autant en R’n’B avec Jean-Michel Pokora qu’en rap avec Le rap des clichés. Si ces différentes vidéos font partie intégrante de sa carrière, elles s’apparentent plus à des sketchs chantés qu’à des morceaux à part entière. Mister V est avant tout reconnu comme youtubeur comique, mais crée dès 2013 une deuxième chaîne pour poster des vidéos musicales. Peu à peu, il surprend le public avec des morceaux à portée comique, mais techniquement très bien réalisés. Dans la série de freestyles #Sapassoupa, il met en scène différents styles de rap et leurs clichés afférents. Ce n’est qu’en 2017 que Mister V décide de se mettre au rap pour de bon, sans se départir de son côté humoristique pour autant. Comme Kamini, il se revendique avant tout artiste, en tant que comique, mais aussi en tant que rappeur, tout en sachant d’avance que certains n’accepteront pas sa démarche. Il sort son album Double V le 19 mai 2017, et en juillet il est certifié disque d’or ! Plus récemment, sa participation au concept de Fianso Rentre dans le cercle intervient comme une confirmation supplémentaire de son statut de rappeur, déjà acquis de par l’approbation générale du public.

Du fait de sa diversité d’influences et de son renouvellement constant, le rap est un genre musical aux frontières très floues. C’est aussi le cas de la frontière entre le rap et sa parodie, la parodie étant souvent elle-même difficile à distinguer clairement de simples procédés humoristiques (ad-libs de Niska, jeux de mots d’Alkpote). Si on se fie à la perception du public, cette frontière pourrait bien englober des humoristes, comme Michaël Youn en France, ou comme Michael Dapaah qui est devenu un phénomène mondial à la suite d’un faux freestyle, et qui s’affiche dans son dernier clip aux côtés de DJ Khaled, Lil Yachty, Jim Jones et Waka Flocka

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