A l’occasion de la sortie de l’album Rêvolution, nous avons rencontré Shurik’n, l’emblématique MC du groupe IAM. L’occasion de parler de la scène marseillaise actuelle et de militantisme…
Aujourd’hui sort l’album Rêvolution, le huitième opus d’IAM, groupe culte qui navigue dans le rap français depuis plus de 25 ans. Toujours fidèles à leurs idéaux, les artistes originaires de la planète Mars proposent des morceaux militants toujours dans l’air du temps. Il est question du temps qui passe et des problèmes de nos sociétés. Comme toujours, IAM vise juste, le tout sur des samples travaillés et des inspirations parfois reggae.
Pour en savoir plus sur ce dernier projet, Booska-p est allé poser quelques questions à Shurik’n, MC emblématique du groupe aux côtés d’Akhenaton. Au menu de notre conversation? Débat sur la scène actuelle qui secoue Marseille, l’évolution du rap, mais aussi celle de notre pays…
En fait on est toujours ensemble, on fait tout ensemble
Après toutes ces années ensemble, il y a toujours cette même saveur, cette même excitation au moment d’enregistrer un album ?
Oui, sinon on n’aurait pas bossé sur celui-là. On fonctionne que comme ça, à l’envie, au plaisir. Juste après l’album Art-Martien on est parti sur la route, on s’est fait à peu près 150 concerts. L’envie est revenue naturellement au bout de deux, trois ans. En fait on est toujours ensemble, on fait tout ensemble, donc nous on a pas besoin de se retrouver ! On est sur la route pour les concerts et généralement on enchaîne en studio pour enregistrer. Tout s’est fait assez naturellement après notre grande tournée.
Aucun temps morts du coup ?
Non, nous on n’aime pas ça les temps morts. Puis on était sur une bonne lancée ! Quand tu fais de la route pendant longtemps tu engranges des idées, que ce soit au niveau des thèmes ou au niveau du fond. Tout vient des discussions qu’on a, forcément au bout d’un moment on se languissait de rentrer en studio pour repartir encore sur la route après, être H24 ensemble ça nous permet de parler musique, de modifier des morceaux pour la scène et d’avoir encore des idées pour nos prochains projets.
La nouvelle génération apporte une vibe, une énergie qui vient de notre ville et ça, ça force le respect
Justement, ce vécu de plus de 20 ans de le rap, ils vous a permis de voir la société évoluer. Le monde d’aujourd’hui a-t-il changé par rapport à vos débuts ?
Il y a plein de choses qui ont changé, évolué. Surtout au niveau technologique. Après malheureusement quand on est en tournée et qu’on rencontre un tas de gens qui nous disent « c’est dingue, vos paroles qui datent d’il y a 20 ans sont encore d’actualité », c’est gratifiant pour nous, mais c’est déplorable pour la société. Alors je dirais pas que c’est pire qu’avant. C’est juste que maintenant, dès qu’il y a un mort quelque part il arrive directement sur l’écran de ton ordi. Avant il y avait autant de violence, mais l’information n’était pas aussi abondante, en flux tendu, directement dans le cerveau des gens. Et si tu prends quelques chiffres et quelques statistiques, c’était pas mieux avant. La seule certitude qu’on a, c’est que demain soit mieux qu’hier.
Dans le rap, tu as senti une évolution dans le rap par rapport aux sujets de société ?
Nous c’est sûr qu’on est plus proche d’un rap qui écrit plus. Mais c’est vrai qu’il a évolué à l’image de la société. Il s’est ouvert, diversifié. Maintenant, l’éventail est beaucoup plus large, il y a plus un rap, mais des « raps ». Les critères ne sont plus les mêmes. Ce qu’on avait nous, le flow, l’écriture, le choix des mots, ce sont transformés. Aujourd’hui on est plus dans les gimmicks, la vidéo, ce ne sont plus les mêmes critères. Ce n’est plus la même attente non plus au niveau des Mc’s. Avant, il y avait encore un peu d’une certaine culture hip hop alors que maintenant, les rappeurs ne revendiquent même pas cette culture, ou ne s’y intéressent pas. Pour nous, le hip hop, ça toujours été la seule.
La musique la plus écoutée reste le rap
Du coup, est-ce qu’il manque quelque chose au rap ?
Non, pas forcément. Il se diversifie. Le rap est désormais teinté d’une certaine pop. Ce qui est normal, car les gens qui pratiquent aujourd’hui le rap sont nés avec cette pop. C’est normal que la variété d’aujourd’hui s’inspire de soul, de funk ou encore de rap. Le grand public aujourd’hui, c’est nous, les B-boys d’il y a quelques années en arrière, les rappeurs des 90’s. La musique la plus écoutée reste le rap. Donc qu’ils le veuillent ou non, la variété subit cette influence là.
Pour preuve, il y a même le terme Pop Urbaine qui est apparu dans les médias…
Ouais mais bon, c’est un truc très français. On a besoin de mettre un nom sur les choses pour pas qu’elles nous échappent. Et en général on n’aime pas ça. Mais ce genre de mots, c’est comme les ceintures pour les arts-martiaux, ça sert juste à tenir le pantalon. Le rap, c’est juste une vraie musique, cela fait trente ans qu’elle est dans le panorama musical français. Même si elle se diversifie, il y a quand même un tronc commun. Le rap, à la base, c’est une certaine diction sur un rythme, c’est pas du chant. Alors c’est vrai que quand tu chantes sur un morceau entier et que tu qualifies ça comme du rap, je peux pas forcément valider. Mais il ne faut pas oublier que même ce genre-là vient du même tronc commun…
Sur Marseille, quand tu secoues un bloc, il y a dix groupes de rap qui tombent !
…D’ailleurs tu parles de chant, mais tu as beaucoup chanté sur cet album !
J’avais déjà commencé de mon côté, mais là c’est vrai que c’est plus marqué. Chanter c’est quelque chose que j’aime faire, j’ai par exemple toujours aimé le reggae. Rapper et chanter, je sais faire les deux, mais pour m’exprimer je préfère le faire avec le rap. Il y a des morceaux où j’ai fait le choix de chanter, comme sur « Grands rêves, petites boites » et ça c’est bien passé. Il y a même un morceau Reggae. C’est un style qui a toujours influencé tous les membres du groupe. T’as ton style musical, tes préférences à la base, mais le reggae c’est un genre que tout le monde aime. Tu trouveras toujours quelqu’un qui te dira écouter du reggae. C’est un style omniprésent, qui a bercé beaucoup de générations jusqu’à maintenant. Dans les quartiers, les gens écoutaient Bob Marley ou Steel Pulse. C’est simple, on a tous des albums de reggae dans nos placards.
Du coup, qu’est-ce que vous écoutez aujourd’hui?
C’est très varié, très très varié. On a la chance d’avoir un DJ qui nous sort beaucoup de sons, une cinquantaine de maxis par jours, que des nouveautés. Souvent en provenance des Etats-Unis, donc le flux est toujours aussi tendu. Moi j’aime bien tous les styles de rap, je peux écouter des trucs très différents. Il y a des artistes que je valide comme par exemple J. Cole, Skyzoo ou le producteur Apollo Brown. Niveau chant j’apprécie notamment BJ and The Chicago Kid ou Tory Lanez.
Justement, Marseille représente aujourd’hui un certain renouveau du rap avec une grosse scène. T’en penses quoi?
C’est assez énorme et diversifié. Musicalement, je n’adhère pas à tout, surtout quand on connaît mon style ou ce que j’aime. C’est normal que je n’adhère pas à tout. Par contre, au niveau de l’énergie, c’est génial. Ce n’est pas un truc qui me dérange. C’est une évolution du hip hop, un certain créneau. On est pas obligé de donner systématiquement un avis sur tout ce qui se fait à Marseille. Disons que ça dépend des morceaux, il y a des trucs qui passent et d’autres qui passent moins, c’est juste une histoire de goût. Cette génération apporte une vibe, une énergie qui vient de notre ville et ça, ça force le respect. Ils sont organisés et ont un vrai public. Quand je dis ça je parle de tout le monde, ça va d’Alonzo à Soprano en passant par Jul et le Ghetto Phénomène, toute cette nouvelle vague. Il faut dire qu’à Marseille, il y en a un paquet de mecs qui rappent. Quand tu secoues un bloc il y a dix groupes qui tombent ! C’est comme ça et c’est tant mieux, c’est ça qui crée une énergie. Il y a toujours quelque chose de bon qui sort de ça. Marseille, ça a toujours été ça.
Il existe donc encore un style marseillais ?
Oui, mais l’évolution des choses fait que Marseille représente plusieurs styles à la fois. Avant c’était peut-être un plus uniforme, maintenant t’as plein de genres différents qui se côtoient, ça va de trucs complètement nouveaux à des choses plus conventionnelles. Nous on est issu d’une culture hip hop qui n’avait pas les mêmes exigences. Il y avait plusieurs disciplines dans le hip hop. Les nouvelles générations n’ont pas forcément connaissance de cette culture. Aujourd’hui les jeunes parlent plus de rap et pas forcément de hip hop. C’est un choix qui n’est pas plus critiquable qu’un autre. Après, être connecté avec tout le monde à Marseille, c’est compliqué tellement il y a de groupes.
Faut qu’on se donne les moyens de faire les choses, car personne ne va le faire pour nous
Face aux nouvelles générations, IAM défend donc un album fidèle à ses sources… C’est possible d’être encore militant aujourd’hui ?
C’est à l’image de ce qu’on a toujours fait. Tout au long de notre carrière, on n’a jamais collé aux tendances. On a notre univers propre, c’est ce qui fait qu’on a pas à se soucier de la tendance. On a jamais essayé de toute façon. A la fin de monnaie de singe, on balance une référence aux skins en blouson Lonsdale. Même si ce genre de gars ne s’habille plus comme ça aujourd’hui, ils sont toujours là. Le pire c’est qu’ils sont structurés. Et vu la tournure que prennent les choses, ce n’est pas près de se calmer. Aujourd’hui, les racistes par exemple hyper présents sur internet. Quelque part ça veut dire qu’on ne les a pas assez combattus. Ces gars-là sont aujourd’hui décomplexés et n’hésitent plus à aller voter… Il faut continuer le combat et ne pas laisser tomber.
Le « Petit Frère » d’IAM a donc bien grandi?
C’est toujours le même, il a dû évoluer. Comme toute la société, avec les mêmes envies et les mêmes besoins. J’espère juste que maintenant qu’il est devenu grand, il doit enseigner aux autres à rester vigilants. C’est l’un des principaux messages de l’album, rester éveillé pour continuer à rêver. C’est la contraction de deux mots, « rêve » et « évolution ». Rêver c’est une chose qu’on ne fait presque plus aujourd’hui. Si tu ne rêves pas, tu finis par perdre espoir. Et lorsqu’on a plus d’espoir on fait n’importe quoi. Faut qu’on se donne les moyens de faire les choses, car personne ne va le faire pour nous.
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