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Qui était Nicky Barnes, le plus flambeur de tous les gangsters ?

Qui était Nicky Barnes, le plus flambeur de tous les gangsters ?

Réputé intouchable du temps de sa splendeur, sa légende plane toujours dans les rues d’Harlem…

De tous les trafiquants d’héroïne des années 60/70, Nicky Barnes était sans conteste celui qui soignait le plus son allure.

Outre sa flotte de voitures de luxe et ses multiples propriétés immobilières réparties aux quatre coins de New York, lorsque les autorités ont saisi ses biens à la fin des années 70, elles ont mis le grappin sur une collection de 200 costumes de marque, 100 paires de chaussures sur mesure et une cinquantaine de manteaux de fourrure.

S’il est celui qui a inspiré le personnage de Nino Brown dans New Jack City, plus encore que son concurrent direct Frank Lucas dont la biographie a été abondamment romancée dans American Gangster, Barnes aurait mille fois mérité son propre film.

Et ce d’autant plus qu’entre son ascension aussi spectaculaire qu’immorale et sa chute vertigineuse commanditée directement par le président des États-Unis, il y a de quoi raconter.

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« Un produit de son environnement »

Né le 15 octobre 1933 à Harlem, Leroy Nicholas Barnes a beau être enfant de chœur dans ses jeunes années, cela ne l’empêche pas de se détourner très vite du droit chemin sitôt en âge de faire des bêtises.

Arrêté pour la toute première fois à 10 ans pour cambriolage, il quitte l’école avant le lycée, menace son père avec un flingue lors d’une engueulade, vole des voitures à l’occasion et commence à se shooter.

Dealeur à la petite semaine pour payer sa consommation, il est arrêté en 1965 puis envoyé en prison.

De là son destin bascule.

Non seulement une fois entre quatre murs il réussit à se sevrer une bonne fois pour toute grâce au programme de désintoxication proposé, mais en parallèle il fait la connaissance du mafieux Joseph ‘Crazy Joe’ Gallo.

Condamné en 1961 à 10 ans pour extorsion, l’ancien homme fort de la famille Profaci est l’un des premiers à comprendre tout le bénéfice qu’il est possible de tirer en s’associant avec des personnes de couleurs pour écouler en quantité de la drogue dans leurs quartiers, là où ses congénères refusent encore catégoriquement de conclure de près ou de loin ce genre d’alliance.

C’est ainsi qu’après avoir sympathisé avec Barnes, il décide de lui fournir un avocat digne de ce nom pour le faire libérer au plus tôt et se servir ensuite de lui comme son bras droit sur ces territoires.

Fort des enseignements de Gallo et de son expérience d’ancien junkie, une fois dehors Nicky Barnes monte sans tarder sa propre équipe.

Ayant désormais accès à des stocks quasi illimités d’héroïne, il choisit de revendre cette dernière la plus pure possible afin de laisser la possibilité à ses clients de la couper eux-mêmes dans le but de la revendre à leur tour, provoquant de facto une explosion simultanée de l’offre et de la demande… et de ses profits.

Loin de jouer la carte de la discrétion, Barnes vit alors sa vie de nouveau riche au grand jour, quand bien même il n’oublie pas de faire preuve de gestes de générosités savamment calculés (distribution de dindes à Thanksgiving, paiements de factures de santé…).

Dans la continuité des figures publiques afro-américaines qui émergent à cette époque sur la scène politique ou culturelle, il a beau empoisonner sa communauté dans les grandes largeurs, il incarne à sa manière une sorte de modèle de réussite sociale – comme Lucas, Barnes se justifie en arguant qu’il ne fait que donner aux gens ce qu’ils veulent.

Ou pour citer l’ancien patron de Roc-A-Fella Dame Dash qui a grandi dans le Harlem des années 70 bercé par les récits de ses exploits : « Vous devez comprendre que chez nous les héros sont ceux qui ont les plus grosses caisses, le plus d’oseille, les plus jolies filles, ceux qui ont les plus de style. Et Barnes lui il avait tout ça. »

[Dans le rap son nom est d’ailleurs référencé à foison, qu’il s’agisse de Shyne, Loon, Nas, Cam’ron et tant d’autres.]

La mafia black

Bien décidé à atteindre les sommets, il crée ensuite de toutes pièces Le Conseil (The Council), un consortium du crime qui regroupe en son sein les sept plus grands trafiquants noirs d’Harlem – Joseph ‘Jazz’ Hayden, Wallace Rice, Thomas ‘Gaps’ Foreman, Ishmael Muhammed, Frank James ainsi que son ancien chauffeur et protégé, Guy Fisher.

Modelé sur l’organigramme interne de la mafia (chacun de ses membres se voient attribuer un secteur et des effectifs), Le Conseil ambitionne de centraliser le deal d’héroïne afin de réguler les prix et de prévenir les conflits.

Sa devise ? « Treat my bother as I treat myself »

Là encore les résultats ne se font pas attendre, tant et si bien que l’organisation étend rapidement ses activités bien au-delà de l’État New York (New Jersey, Pennsylvanie, Arizona, Canada…) pour atteindre un chiffre d’affaires annuel estimé à plus de 70 millions de dollars !

Évidemment, cette activité nouvelle ne passe pas inaperçue auprès des autorités.

Dans leur collimateur, Nicky Barnes est ainsi fréquemment arrêté, ce qui ne l’empêche pas à chaque fois de s’en sortir sans le moindre début de procès.

Flambeur invétéré en public, il n’en oublie pas de blanchir son argent dans les règles de l’art en investissant dans un maximum de commerces (laveries, concessionnaires automobiles, agences de voyages, restaurants…) au point de rendre ses revenus intraçables.

Et pour ce qui est des accusations d’homicide, de corruption ou de port d’arme, toutes se terminent irrémédiablement en queue de poisson, entre disparitions des preuves et témoins subitement frappés d’amnésie – quand ces derniers ne se volatilisent pas purement et simplement du jour au lendemain.

Jimmy Carter s’en mêle

Auréolé d’un sentiment de toute-puissance, malgré une énième enquête menée à son encontre, Nicky Barnes accepte de faire la couverture du New York Times Magazine daté du 5 juin 1977.

Vêtu d’un costume en jean, d’une cravate rouge blanche bleue et de ses éternelles grosses lunettes seventies, il se voit accoler du fameux surnom « Monsieur Intouchable » tandis que le sous-titre fait écho à l’arrogance de sa pose : « La police affirme qu’il est très certainement le plus gros dealeur d’Harlem. Mais peut-elle seulement le prouver ? »

Si le move ne manque pas d’un certain panache, à trop oublier que les gangsters marchent en silence, il signe toutefois la fin de la partie pour Barnes.

Publiée un dimanche, ladite couverture échoue en effet le jour même sur le bureau du président Jimmy Carter. Prenant plutôt très mal cet acte de défiance, dès le lundi matin la Maison Blanche réclame au Département de la Justice que tous les moyens soient immédiatement mis en œuvre pour le faire tomber.

Disposant d’un appareil judiciaire entièrement dévoué à cette cause, il ne faut alors pas plus de six mois au procureur général de Manhattan Robert B. Fiske Jr. pour traduire en bonne et due forme Barnes, 45 ans, devant un tribunal.

Et quand vient l’heure du verdict le 19 janvier 1978, un jury dont l’identité des membres est exceptionnellement gardée secrète par mesure de sécurité le condamne à la prison à perpétuité sans possibilité de remise en liberté.

Incarcéré dans la foulée dans un complexe pénitencier de l’Illinois, quatre années s’écoulent sans que Barnes ne fasse parler de lui.

Snitch !

Reste que du fond de sa cellule, l’ancien roi des rues d’Harlem ne peut s’empêcher de ruminer sa gloire passée, d’autant plus que ses anciens « brothers » s’accommodent tous très bien de son absence.

Passe encore qu’ils se soient empressés de faire main basse sur son empire ou qu’ils aient opportunément arrêté de lui payer ses frais d’avocats, mais lorsque Barnes apprend que son ancienne compagne et mère de ses deux filles Thelma Grant entretient une liaison avec Guy Fisher, c’est peu dire qu’il voit rouge.

Ironiquement lui qui aux affaires se montrait des plus intransigeants avec les balances et supposées balances (son procès a révélé son implication dans 9 différents meurtres) décide de ce pas d’aller coopérer pleinement avec le gouvernement.

Officiellement « dévoré par la culpabilité », il entreprend de se venger dans les grandes largeurs.

Sans surprise, la nouvelle ne plaît guère au Conseil qui supposément réplique en faisant assassiner par balles son ancienne maîtresse Shamecca (qui était un peu plus que sa maîtresse puisque née Brown, elle se faisait appeler Barnes depuis quelques années).

Cet avertissement ne freine cependant en rien la détermination Barnes, bien au contraire.

Quand bien même il doit se rendre cagoulé à la cour, il témoigne à la chaîne contre tous ceux qui ont eu le malheur de croiser son chemin.

En quelques mois ce sont ainsi une cinquantaine de procédures qui sont enclenchées et 109 personnes qui sont condamnées (dont Thelma Grant et Guy Fisher qui écopent respectivement de 10 ans et perpétuité), mettant à bas ce que la justice a appelé « le plus grand, le plus profitable et le plus vénal des réseaux de drogue newyorkais ».

Une nouvelle vie

Devenu un détenu modèle, Nicky Barnes en profite pour passer l’équivalent du bac, donner des cours à ses petits camarades et participer à des concours de poésie. Il en profite également pour plaider sa cause auprès du juge pour service rendu.

Étonnamment, il trouve son soutien le plus fervent en la personne de Rudy Giuliani. Membre de l’accusation lors de son procès, le futur maire de New York (1994-2001) et champion de la politique de tolérance zéro estime qu’il mérite une grâce présidentielle, ne serait-ce que pour encourager un maximum de criminels à retourner leurs vestes.

Et c’est ainsi qu’en août 1998, après 21 ans derrière les barreaux, Nicky Barnes, 64 ans, intègre un programme de protection de témoin.

Relogé dans la région de Minneapolis sous une nouvelle identité façon Henry Hill dans Les Affranchis, il travaille à temps plein dans un supermarché et se présente à son voisinage comme un ancien businessman ayant fait faillite.

Autorisé à revoir ses filles, il envisage désormais les choses sous un angle bien différent : « C’est certain que j’aimerais avoir plus d’argent, mais pas à n’importe quel prix. Ce que je désire plus que tout c’est me lever tous les jours, aller au travail en voiture et être respecté par ma communauté. »

« Et puis au moins là je n’ai plus à regarder sans arrêt dans le rétroviseur pour voir si je suis suivi, ni à faire tourner le mixeur si je veux avoir une conversation dans ma cuisine. »

Gangster Américain

Barnes finit toutefois par revenir sous les feux de l’actualité, tout d’abord en publiant son autobiographie intitulée Mr. Untouchable en 2005 (provoquant là l’ire du gouvernement qui lève illico sa protection), puis deux ans plus tard en faisant l’objet d’un documentaire du même nom.

Interviewé dans le cadre de la campagne de promotion, à la question de savoir ce qui est pire d’être un informateur, il répond sans broncher : « Croupir en prison jusqu’à la fin de ses jours, peu importe qu’on vous prenne pour un ‘stand-up guy’ ou pas. »

Il faut dire qu’à mille lieux d’éprouver le moindre remord pour sa trahison passée, Barnes continue de garder la dent dure contre Fisher plus de 20 ans après les faits.

Cf. les dernières lignes de son livre dans lesquelles il incite le « prisonnier #05404-054 » comme il l’appelle à « se demander tous les jours jusqu’à [sa] mort si cela valait le coup de [lui] avoir fait à l’envers ».

Toujours en 2007, Nicky Barnes est interprété sur grand écran par Cuba Gooding Jr. dans le film de Ridley Scott… ce qui ne va pas sans provoquer son agacement.

D’une part par ce qu’il a toujours considéré Frank Lucas et son crew comme des « country boys », et de l’autre parce qu’il estime que des deux il est celui qui tenait la dragée haute.

Malade d’un cancer, Leroy Nicholas Barnes décède en juin 2012 à l’âge de 78 ans. La nouvelle n’est cependant pas divulguée par les autorités et la famille par mesure de précaution.

Ironiquement il faudra attendre sept ans et le décès de Lucas en mai 2019 pour que les médias en fassent état à l’occasion de papiers mettent en parallèle le parcours des deux hommes.

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