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L’histoire complète du cartel de Cali, la multinationale de la cocaïne

L’histoire complète du cartel de Cali, la multinationale de la cocaïne

Oubliez Pablo Escobar et Griselda Blanco, les véritables boss du trafic international de cocaïne c’étaient eux…

Le 2 décembre 1993, Pablo Emilio Escobar Gaviria alors en cavale est abattu par la police nationale colombienne.

La mort à 44 ans de celui que l’on surnomme El Patrón signe la disparition du tristement célèbre cartel de Medellín, cette alliance entre narco-trafiquants originaires d’une même ville qui au sommet de sa prospérité exportait jusqu’à 15 tonnes de yayo par an aux États-Unis.

Si au moment des faits Escobar est déjà rentré dans la légende, le cartel a en revanche largement perdu de sa superbe. Outre la chute en 1989 de l’homme fort du Panama Manuel Noriega qui empêche désormais l’organisation de blanchir en total impunité son argent, ses principaux dirigeants ont été emprisonnés (les frères Ochoa), extradés (Carlos Lehder) ou assassinés (Gonzalo Rodriguez Gacha).

Pire, en guerre ouverte avec les autorités colombiennes et américaines qui le traquent sans relâche, Pablo Escobar voit ses proches le trahir à la chaîne (des neuf lieutenants qui l’accompagnaient lors de son évasion en juillet 1992 de la Catedral, la prison où il était volontairement reclus, six se sont rendus à la justice), tandis que ses troupes sont décimées par des milices privées financées par ses nombreux ennemis.

Cette victoire pour le gouvernement colombien ne marque cependant aucunement la fin du trafic de cocaïne, bien au contraire. Tapi dans l’ombre, un autre cartel situé à quelques 300 kilomètres à peine au sud inonde depuis une décennie déjà le marché mondial comme aucun autre avant lui : le cartel de Cali.

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Gilberto et Miguel Rodríguez Orejuela

Une affaire de famille

Le cartel nait en 1977 comme son nom l’indique à Santiago de Cali, la troisième ville du pays, de l’association des frères Gilberto et Miguel Rodríguez Orejuela avec José Santacruz Londoño.

Aîné d’une fratrie de sept enfants, Gilberto voit le jour le 30 janvier 1939 d’un père peintre et d’une mère blanchisseuse. Il commence sa carrière professionnelle adolescent en tant que messager dans une pharmacie avant de bifurquer à l’âge adulte sur le chemin du crime. Accusé de séquestration en 1969, il se lance ensuite avec Miguel dans le trafic de marijuana (dès la fin des années 70 les deux larrons se retrouvent fichés par les douanes américaines), avant d’opter pour le beaucoup plus lucratif business de la coca au début des années 80.

Très vite Gilberto écope du surnom d’« Ajedrecista » (un automate électromécanique permettant de jouer aux échecs) pour son intuition et son sens aigu des affaires, alors que Miguel se fait appeler « El Senor » en raison de ses qualités de meneur d’hommes.

Bien que concurrençant le cartel de Medellín, les deux frangins entretiennent d’excellentes relations avec la bande à Pablo, les dirigeants des deux organisations allant jusqu’à partager les mêmes routes de contrebande ou à financer communément le groupe paramilitaire MAS (pour Muerte a secuestradores, Mort aux kidnappeurs) visant à protéger leurs intérêts communs et à prévenir leurs membres des tentatives d’enlèvements.

Non seulement les deux cartels se divisent géographiquement le marché américain (Medellín s’octroie l’état de Floride, Cali celui de New-York), mais ils s’accordent pour le réguler en fixant les prix, les volumes de production et les fréquences de livraisons.

De cette entente cordiale résulte une explosion des revenus issus de la vente de drogue en Colombie, ces derniers passant de 1,5 milliard de dollars en 1980 à 2,5 milliards cinq ans plus tard.

La guerre des cartels

C’est pourtant à cette même période que le pacte qui les unit commence à prendre du plomb dans l’aile. Si les causes exactes demeurent aujourd’hui encore inconnues, tout porte à croire que chacun a vu son appétit croitre jusqu’à attiser la jalousie et la haine de l’autre.

Les versions les plus couramment admises voudraient que Medellín ait tenté d’accaparer le marché newyorkais, et/ ou ait cherché à venger l’enlèvement et l’exécution de l’un ses hommes de confiance, un certain José Santacrux, par les frères Rodriguez suite à une affaire de coucherie.

En 1988 une voiture piégée explose dans la propriété où résident Pablo Escobar et sa famille. Tenant ses nouveaux rivaux responsables, Don Pablo ordonne le dynamitage de quarante succursales de la chaîne pharmaceutique Drogas la Rebaja, propriété légale de la famille Rodriguez.

S’en suivent alors un déferlement d’assassinats ciblés commis de par la Colombie et les États-Unis qui transforment ce business il y a encore peu relativement stable en une jungle où règne la loi du plus fort.

Toujours est-il que si les cadavres s’amoncellent en quantité de part et d’autre, les profits eux continuent de s’envoler. Mieux la folie meurtrière d’Escobar laisse les mains libres au cartel de Cali qui de son côté met au point une criminalité d’un genre nouveau : là où Medellín combat frontalement l’establishment, les frangins Rodríguez Orejuela cherchent eux à devenir l’establishment.

Push it to the limits

Quand les parrains de Medellín peuvent légitimement être considérés comme les Henry Ford de la poudre blanche pour avoir défriché et professionnalisé le marché, l’activité du cartel de Cali se rapproche elle de McDonald’s et son système de franchises.

A contrario de son concurrent structuré verticalement autour de la figure d’un chef qui contrôle absolument toutes les étapes de la production à la vente, Cali opère sous une forme beaucoup plus décentralisée. La distribution de la cocaïne est complètement externalisée, confiée à des cellules qui opèrent indépendamment les unes des autres et dont les managers (les « celenos ») font ensuite remonter les chiffres.

Plus souple, cette structure hiérarchique qui prend le nom de 400 Cartel permet de multiplier les points de ventes sur tout le sol US et de décupler ainsi les bénéfices. De plus contrairement à Medellín, Cali ne rechigne en rien à s’internationaliser, forgeant des alliances en Italie, en Russie, au Mexique ou au Japon.

À la fin des années 80, la DEA (Drug Enforcement Administration, le département d’État américain chargé de la lutte contre la drogue) estime alors que le cartel contrôle entre 80 et 90% de la cocaïne qui pénètre sur les marchés US, européen et asiatique.

Avec un chiffre d’affaire compris entre 5 et 7 milliards de dollars par an, se pose le problème de la dissimulation de ses richesses nouvelles aux yeux de la loi. Et là encore les techniques employées vont révolutionner le trafic de drogue.

Pour noyer le poisson, le cartel de Cali bâtit un empire commercial en investissant massivement dans un réseau d’entreprises composé à la fois de sociétés écran ET de business tout à fait légitimes.

Au rang de ces derniers on retrouve les laboratoires Kressford, la chaîne pharmaceutique Drogas la Rebaja ou encore la station de radio Radial Colombiano. Le cartel s’octroie également des parts dans le très populaire club de foot local Deportivo Cali ou dans la filiale colombienne de Chrysler.

Investissements légaux toujours, en tant que principal actionnaire du « Banco de los Trabajadores » (la « Banque des Travailleurs » , créée grâce aux fonds du premier syndicat ouvrier du pays), Gilberto Rodriguez Orejuela entreprend l’achat d’actions de la « First Interamericas Bank » de Panama jusqu’à en détenir 75% en 1984.

Via un montage légal aussi sophistiqué que fumeux, les membres du cartel peuvent ainsi déposer, retirer ou emprunter des sommes colossales sans avoir à se justifier – et encore moins à avoir à les rembourser.

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Quand la Colombie devient une narco-démocratie

Toujours dans l’idée d’infiltrer et de contrôler l’appareil étatique colombien, en 1994 le cartel de Cali finance à hauteur de 6 millions de dollars la campagne du futur président de la République Ernesto Samper.

Si ce dernier remporte l’élection d’un chouia (0,32% d’avance au premier tour, 2% au second), sous la pression des preuves apportées par l’opposition une enquête est menée dans la foulée par le Congrès.

Connue officieusement sous le nom de « Proceso 8000 », elle ne permet pas de déterminer avec certitude la connaissance ou non de l’origine de ces fonds par Samper (dans le doute les États-Unis, lui retire quand même son visa touristique), mais elle met en revanche à jour les liens entre les barons de la drogue et une classe politique colombienne proche de la privatisation.

Les diverses perquisitions menées révèlent en effet l’existence de milliers de virements effectuées par des entreprises fictives à destination de parlementaires, d’officiers et d’agents des forces de l’ordre.

« Medellín assassine, Cali corrompt »

Les Rodriguez Orejuela ne cherchent cependant pas à participer directement à la vie politique.

Quand Escobar se présente à la députation (ce qui causera sa perte), ils préfèrent passer pour des notables en cols blancs, des citoyens modèles.

Une approche qui tranche singulièrement avec celle cartel de Medellín qui reste, fondamentalement une bande de voyous des rues aux racines paisa, ne comprenant et ne respectant que la violence.

[Une opposition de style qui s’explique pour beaucoup les origines sociales et culturelles des leaders : là où Miguel Rodriguez Orejuela exhibe fièrement son diplôme d’avocat et Gilberto revendique avoir suivi des cours de gestion d’entreprise et de planification stratégique, Pablo Escobar n’a pas terminé le lycée, quant à Gonzalo Rodriguez Gacha il est pratiquement analphabète…]

Ne serait-ce que pour la seconde partie de l’année 1989, Medellín est responsable de la mort de 107 civils, policiers, magistrats et hommes politiques, mais aussi de 205 attentats à la bombe ayant causé plus d’un demi-milliard de dollars de dégâts matériels.

En privilégiant la corruption à grande échelle, Cali est ainsi longtemps passé sous les radars de la justice et des médias dont l’attention était pleinement focalisée sur les « narco-terroristes ».

La chute d’Escobar en 1993 est ainsi à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle pour le cartel de Cali. Une bonne parce que le clan Rodriguez Orejuela s’est débarrassé une bonne fois pour toute de son principal ennemi (la milice à sa solde Los Pepes composée des proches de ses victimes et de ses ennemis ayant joué un rôle majeur dans sa traque) et se trouve une situation de monopole.

Une mauvaise parce que c’est à compter de ce moment-là que les vrais ennuis surgissent…

Miguel Rodriguez Orejuela le jour de son arrestation.

Gilberto Rodriguez Orejuela escorté par les forces de l’ordre de Bogota sur le point de le remette à la DEA.

Escobar terrassé, les alliances se retournent

Longtemps conciliants, le gouvernement colombien et la DEA décident alors de mener la vie dure au cartel de Cali. Ce dernier qui avait cru contracter une assurance en avoinant le monde politique d’argent sale tombe de haut.

Les Américains imposent au président Ernesto Samper un changement de direction à la tête de la police colombienne, en nommant un homme de confiance, le général Rosso José Serrano. Sitôt ses fonctions prises, il remercie près de 3 000 agents et officiers pour les remplacer en formation accélérée par des hommes jeunes, inconnus des narcos.

En sus le gouvernement offre une récompense de 1,5 millions de dollars pour toute information menant à la capture des frères Rodriguez Orejuela.

Les résultats ne se font pas attendre : Serrano capturent en six mois les six principaux chefs du cartel de Cali. Giblerto est débusqué le 9 juin 1995 à Cali, Miguel le 6 août. Le premier écope de 15 ans de prison, le second de 24.

[Santacruz Londoño, la troisième tête du cartel, est également arrêté et emprisonné en juillet. Il s’évade 5 mois plus tard avant d’être abattu par la police.]

Ces arrestations ne mettent pas fin à l’activité du cartel, loin de là. Évitant l’extradition aux États-Unis en vertu d’une loi assurant aux prisonniers colombiens d’accomplir leur peine sur place pour tous crimes commis avant le 16 décembre 1997, les deux frères continuent ainsi d’expédier leurs affaires courantes depuis leurs cellules quasiment comme si de rien n’était.

Mal leur en a pris, si Gilberto est libéré en novembre 2002 pour bonne conduite (une décision qui fait scandale au sein l’opinion publique), il est de nouveau mis sous les verrous en décembre 2004.

Et cette fois-ci les choses prennent une tournure bien différente.

La chute d’un empire

Élu en 2002 sur la promesse d’une politique sécuritaire accrue, le nouveau président Álvaro Uribe décide d’extrader pour de bon les trafiquants de drogue.

Les Rodríguez Orejuela comptent parmi les premiers à en faire les frais. Eux qui auraient pu connaitre une fin de vie paisible en Colombie, doivent désormais répondre de leurs crimes devant une cour américaine. Sitôt arrêté Gilberto, 66 ans, est envoyé manu militari aux US. Miguel, 62 ans, suit le même chemin en mars 2005.

En septembre de l’année suivante, ils sont chacun condamnés à 30 ans de prison après avoir plaidé coupables face aux accusations d’importation de cocaïne, de conspiration et de blanchiment d’argent.

Cette décision de justice marque la disparition définitive du cartel de Cali… mais pas de ses méthodes qui elles perdurent aujourd’hui encore dans toutes les organisations criminelles mondialisées.

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