Retour sur les aventures de Caine et O-Dog dans le plus ghetto des films de ghetto…
Bien que les frères Allen et Albert Hughes ne soient pas les premiers réalisateurs à venir filmer au plus près le quotidien des ghettos noirs américains (Spike Lee, Mario Van Peebles ou encore John Singleton sont passés par là avant eux), sorti en mai 1993, Menace 2 Society reste encore aujourd’hui le long métrage qui a le plus choqué son époque.
Quand un New Jack City dégainait la carte du gangstérisme un peu trop glamour pour être pris au premier degré, tandis qu’un Boyz N the Hood laissait planer un sentiment d’insécurité sans jamais vraiment se complaire dans le spectaculaire, Menace 2 Society se la joue sans filtre aucun, tout le film respirant la paranoïa et le désespoir.
Une brutalité qui se retrouve dès la scène d’ouverture où sur une voix off façon Scorsese dans Les Affranchis sont introduits les deux personnages principaux, O-Dog et Caine. Venus acheter sans arrière-pensée des bières dans une épicerie coréenne, ces derniers en ressortent coupables d’un double homicide des plus crapuleux.
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À peine réchappés de l’adolescence, chacun se débat à sa manière dans un Watts, Los Angeles gangrené par l’épidémie de crack des années Reagan où la violence sert de mètre étalon pour régir les rapports sociaux – via notamment cette notion de « respect » complètement pervertie.
Loin de tenir du concept abstrait, cette (hyper) violence se traduit dans les faits par un amoncellement non-stop de cadavres – là un vol de voiture qui tourne mal, ici un junkie en manque qui a le malheur de prononcer la parole de trop.
C’est dans cet environnement crépusculaire que Caine et Dog passent leurs jeunes années à éviter du mieux qu’ils peuvent le destin qui leur est promis, la question qui se pose à eux chaque matin n’étant pas celle de savoir s’ils vont ou non perdre la vie, mais quand et comment.
Reste que si aucun des deux n’est capable de verbaliser quoi que ce soit (l’indigence de leur vocabulaire se limitant à des « nigga », « bitch » et autres « motherfucker » répétés ad nauseam), là où Caine, qui partage son temps entre le lycée et le deal à la petite semaine, semble encore parfois caresser l’idée de s’en sortir, O-Dog a lui clairement accepté le côté tragique de son existence.
Névrosé socialement, incapable de se projeter dans un futur proche, il est celui qui entre candeur et monstruosité personnifie « le cauchemar de l’Amérique ».
[Mention spéciale à son interprète Larenz « What’d you say about my mama? » Tate, qui fait exploser tous les compteurs du charisme.]
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Loin de se vouloir un panoptique complet sur la question des ghettos, Menace 2 Society se concentre sur les causes internes de cette destruction du tissu social.
Caméra au poing, les frangins Hugues mettent ainsi en exergue les démons qui rongent de l’intérieur les pans les plus défavorisés de leur communauté, avec en premier lieu le rôle des pères (et des pères de substitution), la libre circulation des armes ou encore le nihilisme ambiant (appât du gain plus refus de toute éducation).
[Et tant pis si cela passe par quelques clichés et effets de manche un peu trop too much pour être honnêtes.]
C’est donc peu dire que l’humeur du film n’est pas à la légèreté, M2S se terminant sans grande surprise dans le sang et les larmes.
Seul motif de réjouissance : la bande originale qui mélange allégrement fines lames du emceeing californien (mais pas que) et classiques des légendes soul seventies.
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