Revivez la création de Suicide Social, le morceau d’Orelsan qui a bousculé la France entière…
Dans le cadre de La Sélection du mois d’octobre consacrée à Orelsan, Booska-P vous fait vivre le quatrième volet des « Secrets de la Création », un nouveau concept qui retrace la vie du morceau le plus important de la carrière d’un artiste. Rappeur ou autre, chaque acteur de la scène musicale connaît un titre dans sa carrière qui lui fait passer un cap. Cela peut être celui qui lui fait découvrir sa vocation, celui qui lance son ascension, celui qui marque une nouvelle direction artistique ou celui qui le fait exploser aux yeux du grand public. Pour Orelsan, c’est le morceau Suicide Social qui s’est imposé. Peu de titres suscitent une adhésion immédiate. Celui-ci fait partie de ces titres coup de poing qui perdurent dans la conscience collective. L’histoire d’un homme suicidaire qui crache sa haine de la société française, de toutes ses strates et ses communautés. Envoyé au mois de septembre 2011, dix jours avant la sortie de son album Le Chant des sirènes, ce morceau coup de poing de presque 6 minutes a d’abord explosé aux yeux des supporters du Caennais, avant de dépasser le cadre du rap et atteindre les arènes du grand public.
Un portrait au vitriol de la société française
J’avais un dossier qui s’appelait « Haine »
D’après son interprète, Suicide Social, reçu en exclusivité par Booska-P à l’époque de sa sortie, est un morceau sur lequel il y a beaucoup à raconter. S’il a marqué un tournant dans la carrière d’Orelsan, c’est d’abord pour la force de son propos, son interprétation et sa forme particulière : « C’est un long morceau sans refrain avec une vraie tension, ça ressemble à rien d’autre« . Le rappeur avoue avoir atteint un nouveau seuil, dans un délire plus sérieux : « Avant ça, j’étais plus connu pour un peu d’humour, des chansons rigolotes. Suicide Social ça a beaucoup rassemblé, les gens étaient dedans« . Un son dont il entend encore parler 6 ans après, et le deuxième morceau le plus écouté de sa discographie, un classique d’Orelsan. Le titre est sévère mais pas dénué d’humour : « Je pense que le morceau marche bien parce qu’il y a une part d’humour noir. Beaucoup de trucs m’ont fait rigoler, et quand tu les mets dans la voix d’un mec vénére, c’est juste un peu déstabilisant« . Pour son interprète, il s’agit d’un morceau de circonstance : « Si t’es énervé, tu vas avoir envie d’écouter Suicide Social, Si t’es de bonne humeur tu vas écouter La terre est ronde ».
Difficile d’imaginer que le morceau ne s’est pas écrit en un jet et dans un accès de colère. Pourtant, Orelsan a passé plusieurs mois à rassembler des idées éparpillées dans sa tête et sur ses brouillons. « Souvent, j’ai plein d’idées, mais elles mettent grave de temps à se mettre ensemble, ça peut mettre 6 mois ou un an et petit à petit ça prend forme. Je me dis ‘Ah ! En fait c’est comme ça qu’il faut que je la tourne‘ » explique le rappeur. L’idée de Suicide Social n’est pas apparue soudainement, mais a mijoté plusieurs mois avant de faire son chemin dans l’esprit d’Orelsan: « J’avais un dossier qui s’appelait ‘Haine‘, ou un truc comme ça, et un dossier qui s’appelait ‘Clichés‘. J’avais une autre idée de chanson qui s’appelait Suicide Social, mais ce n’était pas tout à fait ça. » L’histoire aurait en effet pu être toute autre, puisqu’il a d’abord imaginé camper plusieurs rôles différents sur un même titre : « Au début, je voulais faire l’histoire d’un mec qui s’en prend à quelqu’un, qui s’en prenait à quelqu’un d’autre, qui s’en prenait à quelqu’un d’autre et ainsi de suite. Mais je n’y arrivais pas, c’était un peu compliqué« .
Tout en continuant à gratter sur le thème des clichés d’un côté et celui de la haine de l’autre, entre deux chansons, Orelsan repense subitement au monologue d’Edward Norton dans La 25e heure. La scène où l’homme énumère d’immondes stéréotypes sur les habitants de la ville de New-York. « Je ne voulais pas reprendre le même truc. Je me suis dit, je vais faire un mec qui dit au revoir à tout le monde. Mais attend… C’est peut-être ça ma chanson suicide social en fait ! ». L’artiste tient son concept, il n’en faut pas plus pour que la machine démarre. La même semaine, il écrit Raelsan et Suicide Social.
J’ai tendance à aller trop loin plutôt que de me censurer
Pour le discours de son personnage suicidaire, le Caennais s’est basé sur ses propres idées reçues : « C’est des trucs que tout le monde pense sur tout le monde ou alors ça peut être des choses qui m’ont traversé l’esprit. Les mecs du sud qui savent pas conduire, évidemment que c’est faux. Je prenais un malin plaisir parce que quand t’es dans le bad, quand t’es pas à l’aise avec toi-même, tu vois que ça. Je pense que les médias reflètent ça aussi« . Les médias et leurs polémiques justement, Orelsan n’y pense pas quand il écrit, au contraire : « Je ne me suis pas censuré, pas du tout. J’ai toujours tendance à aller trop loin dans le truc plutôt que de me censurer. »
Skread a déchiré la prod’
Ses premières répétitions en solo se font sur une instru totalement différente de celle finalement retenue : « J’écris toujours sur la mauvaise prod, j’ai un feeling chelou. J’avais écrit sur une autre pro, mais pas si triste que ça, un truc qui ne ressemblait pas trop à la chanson de fin. »
Un peu stressé avant la première session studio avec Skread, son beatmaker et fidèle acolyte, Orel débarque en cabine avec un ton inhabituel. Ils n’enregistrent que la première moitié du titre, pas plus emballés que ça par le résultat. Le compositeur suggère une ambiance plus dramatique, une tension progressive. Il refait une prod, avec les difficultés qu’impose un morceau de 6 minutes. Orelsan admire encore le travail accompli par celui qu’il considère comme sa moitié artistique : « C’est là que Skread a déchiré la prod. C’est dur de faire des prods sur 6 minutes où tu ne te fais pas chier. Faut savoir faire évoluer la boucle et ça, c’est pile le genre de chansons qui sont relou pour les producteurs parce qu’il faut habiller le texte, le mettre bien en avant. »
On l’a notre single !
Difficile à cerner, le morceau fait d’abord l’objet d’une vanne quant à sa qualité de single. « Quand je l’ai fait écouter à la maison de disque la première fois, il y en a un, pour rigoler, il a dit ‘Et bah ça y est, on l’a notre single !’. C’était une blague et au final, c’est vraiment un titre qu’on a travaillé comme un single avant l’album. C’était une stratégie pour faire parler de l’album avant qu’il sorte« confie Orelsan. Avec Suicide Social, il tenait à marquer une rupture, créer un contraste avec les quatre premiers extraits envoyés : Raelsan, Double vie, Plus rien ne m’étonne, 1990.
Avoir un visuel à la hauteur
Je ne pensais pas que ça prendrait à ce point
La maison de disques profite de la frénésie autour du motion-design pour proposer à son artiste un clip d’animation qui mette en avant les lyrics. Orelsan se souvient de cette période : « C’était Seb CHA qui avait lancé un truc en le faisant pour Booba. Des américains le faisait aussi, c’était pile dans l’air du temps mais c’était suffisamment nouveau pour que les gens se le prennent ». Une idée originale pour celui qui réalisera son propre film peu de temps après, habitué à faire sa cuisine lui-même : « Sur Chant des sirènes, j’avais fait tout le reste moi-même avec des bouts de ficelle, mais là, c’est la maison de disques. C’était une bonne idée. »
Mathieu Foucher, une pointure du motion-design à l’origine du clip de Kéry James Lettre à la République et de spots pour Porsche, Coca ou Canal +, se lance dans la réalisation du visuel. Trois semaines plus tard, le clip sort du four, prêt à débouler. Pour l’anecdote, Youssoupha a décidé de sortir son titre Menace de mort le même jour que Suicide Social, avec un clip similaire. « Les deux sons ont un peu la même atmosphère, c’était très deep : il parlait de son procès avec Zemmour et du mien pour Sale pute. On se connaissait pas si bien que ça, mais on s’est envoyé un message genre ‘Oh chan-mé !’« . Alors que tout le monde se demandait si la manoeuvre était délibérée, Orelsan explique aujourd’hui qu’au lieu de créer une compétition, cette coïncidence a finalement boosté les deux sons.
Un titre passé à la postérité
Mais attend…il parle de moi là !
Qu’on crie au génie ou au scandale, Orelsan nourrit l’opinion publique d’une manière ou d’une autre. Pour Suicide Social, l’accueil est positivement unanime. Certains y voient du bon rap, d’autres un chef d’oeuvre de la chanson française. Quoiqu’il en soit, le morceau est une grosse claque. S’il avoue avoir appréhendé les réactions face à Suicide Social, il n’imagine pas l’ampleur que cela va prendre. Exit les polémiques, la très grande majorité du public comprend le personnage incarné par l’interprète. Et contrairement à d’autres chansons, difficile ici d’isoler des phrases dans un morceau aussi dense. « Tout le monde l’a vraiment pris comme une oeuvre et pas comme un discours » explique le trentenaire. Malgré la compréhension générale, Orelsan s’amuse de l’ambiguïté que le morceau peut générer : « J’aime bien le fait que t’aies l’impression d’être un peu d’accord avec moi, jusqu’à ce qu’ils disent ‘mais, attend…il parle de moi là !’.
Certains l’écoutaient avec leurs darons
Si l’époque était différente pour Youtube et les vues engrangées sur un clip, les 23 millions de visionnages cumulés jusqu’à aujourd’hui restent significatifs. Surtout, Suicide Social s’étale sur la frise chronologique, jusqu’aux dernières élections présidentielles : « Pendant la campagne présidentielle, plein de gens l’ont posté, un peu en mode ‘L’humeur du moment’. C’est un morceau qui a voyagé et qui a bien marqué le public« . Un public étendu sur plusieurs générations grâce à la force des paroles et de l’interprétation. « Ca m’a fait connaître d’autres styles de gens, certains l’écoutaient avec leurs darons et ils kiffaient ! Il n’y avait pas ça sur Perdu d’avance » analyse t-il.
Skyrock m’a toujours rentré des titres improbables
Le titre va jusqu’à prendre aux tripes Laurent Bouneau, directeur des programmes de Skyrock, qui décide de l’intégrer à sa playlist, malgré ses caractéristiques diamétralement opposées aux formats radiophoniques traditionnels. Le morceau dure six minutes, il n’ a pas de refrain,mais un couplet unique avec des lyrics politiquement incorrectes. Orelsan se remémore la première écoute dans les studios de Skyrock : « Bouneau l’avait tellement bien aimé à l’écoute qu’il m’a dit ‘Je le rentre, c’est tout, c’est comme ça’. Tu te doutes bien que c’est pas une chanson que j’ai écrite en me disant ‘ça, ça va rentrer sur Sky' ».
Orelsan croise régulièrement des références à son classique, voire pire : « J’ai vu plein de trucs dans des pubs et chez d’autres artistes, où je me disais qu’ils avaient été voir un mec en lui demandant de refaire Suicide Social. J’en ai vu un affligeant, c’était une pub de savon qui reprenait exactement la même forme. Je suis pas parano, c’était vraiment la même construction« . Il s’amuse également de sa présence dans un roman, La patience du diable de Maxime Chattam, dont il a vu un extrait sur Twitter. Un passage où, pour dépeindre l’univers de son personnage, l’auteur le décrit comme écoutant Suicide Social d’Orelsan.
Suicide Social en live
J’envoyais des doigts d’honneur au bon moment
Toujours attendu lors des lives, Suicide Social reste un morceau à part, ne serait-ce que dans l’interprétation qu’Orelsan réserve au public : « Sur la tournée Le chant des sirènes, c’est la chanson que je faisais en dernier parce que je me pétais la voix, je pouvais plus chanter après« . Le son prend même une nouvelle dimension en live, quand il se retrouve confronté à ceux qu’il insulte sur le titre. Orelsan en joue et a trouvé la parade: « Je prenais un malin plaisir à bien regarder les parisiens quand je jouais à Paris, les mecs du sud dans le sud, j’envoyais des doigts d’honneur au bon moment. » Tournée oblige, la prestation de Suicide Social est de mieux en mieux rôdée. Au point que le rappeur finisse par préférer la version live à l’originale : « Je n’ai pas réécouté l’original depuis sa sortie, je dirais. Mais je la joue sur scène donc j’ai davantage la vision du live. Je la braille, je la maîtrise beaucoup mieux maintenant que quand j’enregistrais. J’aurai kiffé faire la tournée avant et réenregistrer après. »
Si je le fais et que j’assume pas, c’est naze
Orelsan se souvient (avec pénibilité) d’un des premiers lives de Suicide Social, avant même la sortie de l’album. Un plateau télé sur la chaine W9 où il avait du mal à trouver sa place : « C’était dans la maison Kenzo, un événement très bobo, avec des gens chelou, pas mon public. Il y avait Charlie Winston, je me souviens. Ils étaient là avec leurs petits cocktails, je me suis dit il faut le faire à fond, si je le fais et que j’assume pas, c’est naze. Le clip venait de sortir, je l’ai fait et c’était chelou !! Le malaise... ». En pleine préparation de sa nouvelle tournée prévue pour la sortie de son troisième album solo, La Fête est finie, Orelsan prévoit de jouer Suicide Social à l’AccorHotels Arena, le 15 mars prochain : »On est en train de faire la setlist et je pense que les gens l’attendent. Je vais pas la mettre en dernier parce que je veux pas faire le même concert, et pas trop tôt parce que je me nique la voix« .
Rendez-vous le 20 octobre
L’attente autour de nouveaux morceaux concepts, auxquels Suicide Social a ouvert la voie, s’intensifie pour le nouvel album attendu le 20 octobre. Son goût pour les histoires et son talent pour les raconter, en se glissant souvent dans la peau d’un personnage laisse à penser que d’autres morceaux-concepts se dessinent pour La fête est finie. L’évolution d’Orelsan depuis Perdu d’avance, son ascension jusqu’au rang de rappeur préféré des Français et l’expérience prise dans d’autres domaines suggèrent un après Suicide Social d’envergure. Comme avec le seul extrait connu jusqu’à maintenant, Basique, pour lequel l’artiste parle cette fois-ci en son nom.
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