A l’occasion de la sortie d’Afro Trap volume 1, la compilation évènement parrainée par MHD, nous avons rencontré Mokobé du 113 et DSK On The Beat pour retracer l’histoire de ce mouvement.
S’il y a bien un rappeur aussi connu pour son Feu d’artifice que la fête nationale française, c’est bien MHD… Et c‘est justement le 14 juillet qu’il a choisi pour dévoiler sa compilation Afro Trap volume 1, un projet dédié au genre musical qu’il a popularisé et qui désormais fait partie intégrante du paysage musical français. Ce statut de compilation permet au projet de porter le mouvement afro trap, encore en pleine expansion. DSK on the beat, producteur d’une partie du projet, raconte: « jusque après la sortie de l’album MHD, quand j’ai signé chez Warner, le producteur de MHD m’en a parlé et m’a dit que ça serait bien de faire une compile avec tous les artistes afros. Moi j’étais avec des artistes locaux et internationaux, j’ai trouvé ça super. (…) Mais c’est vraiment MHD le parrain de cette compile. A partir du moment où on fait une compile, c’est que le style est vraiment déposé, comme le Raï’n’B. » L’idée du projet c’est donc de formaliser le mouvement afro trap et d’inscrire ses évolutions dans le cadre de projets réguliers, et surtout de mettre en avant des artistes africains et des artistes moins reconnus. Ainsi, le projet a été annoncé par trois extraits: Magie de Dams, On s’enjaille on s’en fout de DJ Peet et Y’a du goût de Moula Gang.
Sur la liste des titres, on retrouve bien sûr MHD avec Afro Trap part. 9 et Aya Nakamura, mais aussi des têtes inattendues comme Lartiste et Barack Adama de la Sexion d’Assaut. On retrouve surtout des artistes africains de plusieurs horizons: Ghinée avec Sarkodie, artiste à l’origine de Adonai et No Kissing Baby, mais aussi et surtout Côte d’Ivoire avec DJ Araffat, Kiff No Beat et Sidiki Diabaté…. Au delà des frontières, chacun de ces artistes représente une variété d’influences de la musique traditionnelle et moderne en Afrique. Il a fallu pour le rap français pas moins d’une vingtaine d’années pour réaliser l’ampleur de ce vivier d’inspiration et de talents, et la portée universelle que le mélange des genres poussé à sa conclusion logique pouvait avoir. Alors que le thème de l’Afrique est récurrent dans les textes de beaucoup de rappeurs, ce mélange a longtemps été tenu à l’écart du public. A l’occasion de la sortie d’Afro Trap volume 1, nous avons décidé de retracer à la fois cette évolution de l’afro dans le rap depuis les débuts, mais aussi la portée de ce mélange maintenant qu’il a acquis une popularité inédite.
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Le lent développement de l’afro dans le rap français
Le rap français a toujours entretenu un rapport particulier à l’Afrique, ainsi en 1995 un fameux collectif du Val-de-Marne prend le nom de Mafia K’1 Fry… Mais il faudra attendre 1997 et la formation d’un autre collectif, Bisso Na Bisso pour trouver les origines d’une fusion entre rap et musique traditionnelle africaine sur le plan des mélodies, au-delà de l’aspect revendicatif. On retrouve dans les rangs de Bisso Na Bisso un certain nombre de grands noms du rap d’origine congolaise tels que les deux frères de 2 Bal, Passi du Ministère A.M.E.R. ou encore Lino ; le groupe rencontre ses premiers succès avec le single Bisso Na Bisso et l’album Racines en 1999, qui mélange l’esthétique et les mélodies congolaises à des paroles et flows plus caractéristiques du rap de l’époque.
À une époque, personne ne prenait de risque avec la musique africaine
La même année, le groupe 113 composé d’AP, Mokobé et Rim’K originaires de Vitry-sur-Seine et également membres de la Mafia K’1 Fry sort l’album Les princes de la ville, où on retrouve également de premières influences afro… Mokobé se souvient: « il y avait Tonton du bled, Tonton des îles, et dans la réédition il y a eu Tonton d’Afrique. C’était une époque où personne ne prenait des risques par rapport à la musique africaine, si ce n’était pas nous ou Bisso Na Bisso. » En 2001, on retrouve Bisso Na Bisso sur Liberté un morceau en featuring avec les chanteurs congolais Papa Wemba et Koffi Olomide tiré de la compilation franco-africaine Rap sans visa.
En 2003, le 113 sort le clip de Voix du Mali en collaboration avec Oumou Sangaré, et en 2005 Mokobé réalise une morceau à succès en featuring avec le groupe ivoirien Magic System intitulée On va bouger bouger. C’est un premier pas vers ce mélange des genres qui va peu à peu devenir le chemin de croix du rappeur. « C’était un combat à l’époque, les maisons de disque quand tu leurs disais ‘Je veux faire un projet africain’, ils te regardaient avec des gros yeux et ils te disaient « Nous on connait pas, tu vas nous emmener où?' » Le rappeur finit par sortir en 2007 son premier album intitulé Mon Afrique et sur lequel Booba et Diam’s côtoient des grands noms de la musique africaine. « J’ai été le premier à sortir un album vraiment africain (…) avec les plus grandes stars de l’Afrique: Youssou N’Dour, Salif Keita, et il y avait même Fela Kuti, qui est une légende du Nigéria mais qui est décédé, paix à son âme. C’était un grand voyage en Afrique. » Un an plus tard, Mokobé sort une première collaboration avec un certain Alpha 5.20… Originaire du Sénégal, Alpha 5.20 fait irruption dans le rap français avec un cocktail d’influences africaines et de rap Dirty South, le tout couronné d’un fort accent qui va faire sa réputation. « Alpha 5.20, ça a toujours été un mec qui prenait l’Afrique à travers ses paroles, à travers sa musique à travers son discours. En vérité, c’est normal que tu retrouves certaines influences africaines à travers ses morceaux aussi. »
Quand la nouvelle génération fait exploser l’afro
« J’avais besoin de montrer à mon public et aussi à tout le rap français que la musique africaine est une musique qui est vraiment riche. C’était un risque de faire cet album, et Dieu merci il y a eu un single qui a bien marché à l’époque qui était C’est dans la joie avec Patson, qui était numéro un partout, et donc les portes ont commencé à s’ouvrir. Comme disent les artistes de coupé-décalé ivoiriens, ‘Mokobé a mis le coupé décalé dans le wesh’, genre il a mis la musique africaine en avant en mélangeant avec le rap. » Pourtant, à part Bisso Na Bisso qui sort en 2009 un deuxième album intitulé Africa pour célébrer les 10 ans du collectif, Mokobé qui sort à son tour un second projet intitulé Africa Forever en 2011, et Alpha 5.20 qui malgré des influences indéniables ne peut pas vraiment être rangé au rayon afro, le rap français semble assez fermé au mélange. Entre temps, l’attention du public est retenue par un nouveau phénomène qui va changer la donne et décomplexer les générations à venir, la trap venue d’Atlanta, qui envahit peu à peu internet. En 2014, le rappeur d’Evry Niska sort une série de freestyles qui le font monter en popularité. Le jeune rappeur reprend les flows et l’attitude de la scène drill de Chicago qu’il combine inconsciemment avec des influences africaines héritées de son éducation. On les ressent particulièrement dans Mama sorti début 2015 et qu’il clippe d’ailleurs en boubou, puis dans Fly Emirates.
La concrétisation de ces influences sera Sapés comme jamais, un hit en featuring avec Maître Gims qui va connaitre un succès phénoménal. « Ce qui a déclenché les choses, c’est l’arrivée de Sapés comme jamais qui est un énorme tube. » Dans le même temps, MHD, un rappeur du 19ème arrondissement de Paris issu du groupe 1.9 Réseaux, fait de plus en plus parler de lui avec sa série de clips Afrotrap entammée en septembre 2015. En novembre, le rappeur sort Afro Trap part. 3 (Champions League) qui fait le tour des réseaux sociaux et marque le départ d’une ascension en flèche. DSK affirme: « De mon point de vue, les Bisso Na Bisso, Passi et tout ça ont ouvert la porte. Après, il y a eu Magic System, et Mokobé qui a répandu le truc partout, mais c’était pas encore un truc certifié au niveau des majors, des radios… Avec MHD, c’est comme s’il avait ouvert la porte en grand, et aujourd’hui t’entends A Kele Nta sur NRJ, Bazardée… » En avril 2016, MHD sort son premier album, qui sera certifié double disque de platine quelques mois plus tard. Très vite, son succès va donner lieu à une tendance globale de l’afro trap en France. Dès l’été 2015, Booba reprend un titre de Sidiki Diabaté sur Validée, et on retrouve des sonorités africaines jusqu’à Mercé, le hit de Jul et Benjamin Mendy sorti fin 2015.
Et si l’afro trap était un pont vers les Etats-Unis?
Alors que les premiers sons de MHD reprennent des instrus à la P-Square aux influences à la limite du house, l’afro trap va se diversifier de plus en plus avec l’apparitions de sonorités plus traditionnelles et plus douces. L’un des premiers morceaux du genre sera Oh bella ciao, qui réunit Niska et Sidiki Diabaté sur l’album du rappeur du 91 Zifukoro. Booba lui emboîte le pas et sort un deuxième clip tourné au Sénégal, DKR, avec une instru de Jack Flaag faite à partir des sonorités de la kora, instrument à cordes typique de la région. DSK témoigne, « sur le dernier titre que j’ai fait avec Benash, Bye Bye, il y a beaucoup de sonorités africaines. Pareil pour Damso: Kin la belle c’est un gros son avec des vraies sonorités afros: une vraie cadence, des vraies rythmiques… Je pense que c’est l’un des morceaux les plus afros que j’ai fait. » Au même moment, Tchoin de Kaaris qui reprend la recette des premiers succès de MHD porte Okou Gnakouri, son nouvel album sorti fin 2016. On assiste donc à une véritable diversification de l’afro trap, qui commence à explorer les richesses de la musique africaine et les possibilités qu’elles offrent, et le mouvement commence à toucher de plus en plus d’artistes comme Dehmo avec A.E.D.
Dans le même temps, MHD toujours au pinnacle de sa carrière, parraine la compilation Afro Trap alors qu’il prépare sa tournée aux Etats-Unis en septembre. L’afro, très axé sur la musicalité, est un genre extrêmement porteur à l’étranger. Pour DSK, « l’afro est en train de s’exporter… Au jour d’aujourd’hui, on a de l’afro pop, de l’afro cloud qu’a fait Drake avec One Dance. On a créé ce mouvement en France, et ce qui va arriver plus tard sera une évolution de ce qui se fait dans le monde. » L’afro trap pourrait bien représenter pour le rap français cette tendance qui le replacerait au centre de la scène rap mondiale. « Je pense que c’est un pont qui est en train de se construire entre la France et l’Amérique, un pont qui n’est pas encore très solide. Dans deux ou trois ans, ça sera vraiment un truc de fou: on aura des feats entre MHD et Justin Bieber, ou MHD et Beyonce ou Rihanna… Il y aura un mashup entre Afrique et Amérique latine, et c’est ça qui fera que le truc va durer. » D’ailleurs, la tendance est également porteuse en Europe, et pourrait bien faire de la France un chef de file musical du Vieux Continent: « en Allemagne, en Suède, Au Danemark, plein de pays s’intéressent à ce mouvement… »
Pour Mokobé, « c’est un nouveau courant, c’est une nouvelle génération aussi. T’as des enfants maintenant qui savent pas ce qu’il y avait il y a 10 ans ou 15 ans. Il y a toute une éducation musicale à faire, et je suis ravi et satisfait. » Dix ans après la sortie de son premier album, l’autoroute entre rap français et l’Afrique est enfin ouverte, et les rappeurs français multiplient les collaborations avec Fally Ipupa qu’il avait lui-même invité à l’époque. « Moi des tournées aux Etats-Unis j’en ai fait il y a 10 ans déjà, parce qu’il y avait une grosse communauté africaine. Il était très difficile de faire comprendre aux jeunes que l’Afrique c’est le berceau de l’humanité, c’est la Terre Mère, et qu’il y a tellement de choses à exploiter, à mettre en avant… J’ai beaucoup de respect et d’admiration pour MHD parce que depuis Mon Afrique, ça a été le premier artiste a faire un album complet dans cette direction là. Il s’est pas amusé à faire un album avec juste un morceau afro histoire de toucher la communauté africaine. » D’ailleurs, le rappeur du 113 n’envisage pas de rester à l’écart de cette agitation: « J’ai mis du temps, et le prochain album va arriver en octobre. On retrouve toutes ces influences, il y a plein d’artistes de cette nouvelle génération dont Black M, Niska, Gradur, et j’en passe… »